Contrairement aux idées reçues, les réalisateurs ont tourné tôt des oeuvres de fiction et documentaires. Néanmoins, on peut se demander où sont les « Apocalypse Now », les « Full Metal Jacket » ou même les « Rambo » français.
Une idée reçue, et largement partagée, veut que le cinéma français ait ignoré la guerre d’Algérie. Ce reproche se double généralement d’un parallèle peu flatteur avec le cinéma américain qui lui, aurait pris en charge un grand conflit à peine postérieur, la guerre du Vietnam.
Ce reproche est injuste et ce parallèle ne tient pas. Ce qui ne résout pas pour autant le problème, bien réel, des difficultés du cinéma français face à la question algérienne.
A propos du cinéma américain et du Vietnam, il faut rappeler qu’Hollywood n’a rien fait durant le conflit, à l’exception d’un seul film de propagande en faveur de l’US Army et de l’intervention, Les Bérets verts de John Wayne en 1968. S’y ajoute un documentaire indépendant, Vietnam année du cochon d’Emile de Antonio, également en 1968, à la diffusion confidentielle.
Les grands films américains consacrés à la guerre du Vietnam sont tous postérieurs de plusieurs années à la fin du conflit (1975), à commencer par Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino (1978) et Apocalypse Now de Francis Ford Coppola (1979). La réelle prise en charge en images de leur guerre, y compris de manière critique, par les Américains, c’est la télévision qui l’a accomplie dans la temporalité de l’événement, au travers des infos, pas le cinéma.
Bien au contraire, il y a des Français avec des caméras très tôt en Algérie, pour faire du cinéma. Ces films-là ne seront pas vus, la censure bloquant systématiquement toutes ces réalisations, notamment celle du militant anticolonialiste René Vautier dont Une nation, l’Algérie, réalisé juste après le début de l’insurrection, est détruit, et L’Algérie en flammes resté invisible, tout comme sont rigoureusement interdits les documentaires de Yann et Olga Le Masson, de Cécile Decugis, de Guy Chalon, de Philippe Durand, et bien sûr Octobre à Paris de Jacques Panijel sur le massacre du 17 octobre à Paris, qui vient seulement d’être rendu accessible normalement, en salle et en DVD.
Début 1962, le jeune réalisateur américain installé en France James Blue tourne un film tout à fait français, et resté longtemps tout à fait invisible, l’admirable Les Oliviers de la justice, fiction inscrite dans la réalité de la Mitidja et de Bab-El-Oued aux dernières heures de présence coloniale française.
Jean-Luc Godard avait réalisé en 1961 Le Petit Soldat, réflexion complexe et douloureuse sur l’engagement se référant explicitement à la torture, film lui aussi interdit (après une interpellation à la chambre du député Jean-Marie Le Pen). Lui aussi hanté par la torture en Algérie, Muriel ou le temps d’un retour d’Alain Resnais est initié avant les Accords d’Evian, mais sort en 1963.
Lui aussi hanté par la torture en Algérie, Muriel ou le temps d’un retour d’Alain Resnais est initié avant les Accords d’Evian, mais sort en 1963. En 1961, Le Combat dans l’île d’Alain Cavalier se référait clairement à l’OAS et à ses menées terroristes; deux ans plus tard le cinéaste fait du conflit algérien le cadre explicite de L’Insoumis. Dès l’indépendance, Marceline Loridan et Jean-Pierre Sergent tournent Algérie année zéro; la même année 1962, le conflit est très présent, hors champ, dans Le Joli Mai de Chris Marker et Pierre Lhomme comme dans Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda et Adieu Philippine de Jacques Rozier.
Jean-Michel, bonjour, étonnant que vous ne mentionnez même pas « L’Ennemi intime » de Florent-Emilio Siri. Car s’il y a bien un film sur le sujet, et de surcroît français, qui prétendrait rivaliser avec des films américains sur le Vietnam (« Apocalypse Now », « Platoon »), c’est bien celui-ci. Certes, Siri n’égale jamais Oliver Stone et encore moins Francis Ford Coppola, pour autant il s’agit ici d’un film se voulant « couillu » pour mettre les pieds dans le plat de la nébuleuse de la Guerre d’Algérie. Heureusement, vous mentionnez l’approche de Rachid Bouchareb sur la chose : attention, à côté d' »Indigènes », n’oubliez pas non plus « Hors la loi » qui me semble, à dire vrai, mieux « foutu », cinématographiquement parlant, que le premier.
Et juste une question Jean-Michel pourquoi l’oubli de « L’Ennemi intime » ? Trop populaire ? Votre choix [?] de ne pas le mentionner relève-t-il d’un certain… snobisme ? Si c’est le cas, mais j’espère que ce n’est pas le cas, c’est fortement regrettable. Certes, avec « L’Ennemi intime », Florent-Emilio Siri est loin d’avoir réalisé un chef-d’oeuvre, c’est le moins qu’on puisse dire, d’autant plus qu’il semble rejouer, sans rien apporter de radicalement nouveau, la rivalité de deux soldats comme dans le désormais classique « La 317e section », pour autant c’est loin d’être un film honteux, il devrait incorporer votre liste. Il a sa place. C’est un oubli gênant, selon moi. Florent-Emilio Siri, en signant des films comme « Nid de guêpes » et « Cloclo », tente de réaliser en France des films de genre (le film d’action, le biopic, ou encore le film de guerre) honorables, ce qu’ils sont à mes yeux, il existe, et vous le savez très bien Jean-Michel, un cinéma français contemporain qui ne se reconnaît pas du tout dans la mouvance de la Nouvelle Vague et il a tout à fait le droit d’exister, et de Cité, sans ostracisme ni esprit de chapelle, merci. Cdlt,
VP
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Bonjour
Je m’en tenais, dans la partie « énumération » aux films d’avant 2000 (la référence aux films de Bouchareb est venue apr!ès, selon une autre logique – et elle mentionne « Hors la loi »). C’est pourquoi je n’ai pas parlé de « L’Ennemi intime », pas plus que de « La Trahison », très beau film de P. Faucon, ou de « Mon Colonel » de L. Herbiet. Par ailleurs, je trouve le film de Siri affreux (en effet, il « tente de réaliser en France des films de genre » qui sont de très médiocres imitations de films américains eux-mêmes pas terribles), mais ce n’est pas ce qui m’a retenu de le mentionner. De toute façon ma « liste » ne se présente pas comme exhaustive, elle ne l’est pas. C’est gentil de revendiquer un « droit d’exister », mais ce cinéma-là (à supposer que « L’Ennemi intime » soit du cinéma, pas une longue publicité pour un jeu vidéo très laid) ne fonctionne que pour faire disparaître toutes les autres formes de cinéma.
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Jean-Michel, bonjour, je ne pense pas du tout que L’Ennemi intime soit un cinema qui, pour reprendre vos propos, n’existe que pour éliminer toutes les autres formes de cinema (sic). Vous donnez une bien grande puissance a Florent-Emilio Siri. Qui ne tient pas dans sa main le cinema Francais contemporain. Un Claude Berri avait une puissance 1000 a cote. Et un Marin Karmitz a au moins une puissance 100 par rapport a un Siri. Vous croyez sérieusement que Siri monte financierement ses films comme ça ? Il n’est qu’un artisan, il tourne ses films au compte-gouttes et je peux vous dire qu’il faut batailler pour trouver des financements susceptibles de produire : un film d’action en huis clos (Nid de guêpes), un film sur la guerre d’Algerie (guerre maudite dont les plaies en France comme en Algérie sont encore des plus vives ; L’Ennemi intime donc) et un biopic sur une star francaise seventies taxée par, tout bobo parisianiste qui se respecte, comme ringarde (Cloclo). A mes yeux, ce qui menace le cinema dans sa diversité, ce n’est pas un Florent Emilio-Siri (qui est un honnête artisan, un fabricant isole, solitaire) mais le formatage de l’image animée par toutes les séries TV de merde, americaines et autres, qui inondent les écrans tele : pas un plan qui ne dure plus de 3 secondes et que des narrations a chiasmes, psychologisantes a fond, dont on se contrefout. Je voyais l’autre jour un épisode des Experts : Manhattan sur TF1 mais quelle daube. C’est ce formatage-la, que d’aucuns d’ailleurs, bouffons parmi les plus bouffons, allant meme jusqu’a faire des colloques sur les séries TV au Forum des Images, portent aux nues qui menacent selon moi la diversité de l’approche cinema. Il ne faut pas se tromper de cible Jean-Michel.
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Je n’ai jamais dit qu’il en avait le pouvoir, mais son esthétique vise à détruire tout rapport construit avec le monde réel. Pour le reste, je ne suis pas sûr qu evous n’inventiez pas des lignes de séparation entre des gens qui ont bien plus de points communs.
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« à détruire tout rapport construit avec le monde réel. » (JMF)
Jean-Michel, on dit la même chose de David Fincher. Ce qui ne l’empêche pas d’être, à mes yeux, l’un des plus grands cinéastes américains actuels en activité. C’est le défaut que l’on reproche souvent aux films d’imagiers : de faire un cinéma d’autiste, éloigné des fracas du monde, on avait dit la même chose du Besson de ‘Leon’, ou en arts certains reprochent la même chose à l’abstraction dite « désincarnée », froide, en vase clos, mais c’est selon moi une erreur : il existe différentes façons de se coltiner au réel et l’école de Bazin, basée sur le cinéma-vérité et la captation du réel, avec pour maître étalon Roberto Rossellini, est une approche parmi tant d’autres du médium cinéma, ce n’est pas la seule. Qui, en art, pour affirmer une vérité établie ? La postmodernité a fait bouger les lignes et a montré la fin des ‘ismes’ à tendance dogmatique. [Moi j’aime Rossellini, surtout ‘Allemagne année zéro’, cela ne m’empêche pas d’aimer un objet poli et formidablement construit comme Benjamin Button par exemple…].
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Je regrette que vous ne m’ayez pas lu plus souvent, vous sauriez combien je m’intéresse à de nombreuses formes d’élaborations fictionnelles non réalistes, ce qui ne les a jamais empêché de travailler le réel – et le très grand intérêt que je porte en particulier à David Fincher, comme d’aileurs à Nolan ou Shyamalan (et même, quoique pas au même niveau, à plusieurs films de Luc Besson). Je ne me sens donc pas du tout concerné par votre réponse – et ça ne change rien à ce que je pense des films de Siri.
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