Mina (Hafsia Herzi) et Alma (Isabelle Huppert), loin des clichés et des places assignées.
Une séparation en forme de jeu chez Jonás Trueba, une rencontre improbable chez Patricia Mazuy. Les deux films dessinent une aventure singulière qui dépasse le cas des personnages.
Deux comédies sont les plus belles propositions de cinéma arrivant sur les écrans le mercredi 28 août. Au-delà de leurs multiples différences, elles ont en commun de se développer l’une et l’autre autour de cette notion devenue absurdement méprisée et pourtant toujours cruciale: le «vivre-ensemble».
Un homme et une femme à l’heure de la rupture de leur couple ou deux femmes appartenant à des milieux très éloignés incarnent de manière vive beaucoup de ce qui rapproche et de ce qui sépare, de ce qui pousse à suivre l’un ou l’autre mouvement, voire à tenter de concilier les deux.
Dans ces deux contextes très différents, mais très contemporains l’un et l’autre, ce qu’apportent les interprètes est essentiel pour donner chair et nuances à des situations ici apparemment convenue, là possiblement artificielle. Les voix, les rythmes des gestes, la façon dont les corps habitent l’espace insufflent beaucoup de l’humour qui court au long de Septembre sans attendre comme dans La Prisonnière de Bordeaux. Et, dans les deux cas, il est riche de sens.
«Septembre sans attendre» de Jonás Trueba
En principe, ce serait triste mais banal. Un couple de jeunes quadragénaires qui, à la grande admiration de leurs amis, paraissait vivre le parfait amour depuis quatorze ans décide de se séparer. Ce ne sera ni triste, ni banal.
Le huitième film de Jonás Trueba retrouve les interprètes d’Eva en août, qui a fait connaître le jeune cinéaste espagnol en 2019, et de Venez voir. Elle, Ale, réalisatrice, lui, Alex, scénariste, prennent acte que le moment est venu de suivre un chemin différent, mais pimentent leur projet d’une idée singulière: célébrer leur séparation comme une fête, aussi joyeuse que des noces, voire davantage.
Pourquoi se séparent-ils? Aucune explication précise ne sera fournie. La question n’est pas là, mais dans la manière de le faire, dans les effets que cela produit sur leur entourage, et aussi, plus souterrainement, du côté de ce qui fait que deux humains adultes choisissent ou pas de partager la plus grande part de leur temps.
Cette question n’est pas neuve au cinéma. Elle est entre autres au cœur d’un ensemble de films classiques hollywoodiens, connus sous l’appellation de comédies du remariage. Elles ont fait l’objet du texte le plus fameux d’un des très rares philosophes ayant su penser avec le cinéma (et non «sur» le cinéma, ça, il y en a plein): Stanley Cavell.
Dans son livre À la recherche du bonheur, mais aussi dans de nombreux autres ouvrages, Cavell montrait comment, dans le même mouvement, le cinéma aide à percevoir ce qui nous meut, nous autres humains, dans les choix de la vie quotidienne, et comment la vie comme flux est capable de dynamiser, voire de dynamiter les descriptions les plus formatées, exemplairement les films à vedettes des studios.
Nul besoin de connaître Cavell, désormais enfin devenu reconnu en France grâce aux ambassades notamment des philosophes Sandra Laugier et Élise Domenach et des cinéastes Luc Dardenne et Arnaud Desplechin, pour se réjouir sans réserve en regardant Septembre sans attendre. Même si l’honorable auteur de La Projection du monde et du Cinéma nous rend-il meilleur? est dûment cité dans le film.

Alex et Ale (Vito Sanz et Itsao Arana), complices jusque dans la rupture. Mais est-ce mieux? | Arizona Distribution
Léger, joyeux, émouvant, taquin, musical, celui-ci se suffit parfaitement à lui-même, et ne cesse de surprendre en suivant les sentiers qu’empruntent Ale et Alex pour mieux se séparer, selon des idées de l’existence qu’ils s’évertuent à opposer l’une à l’autre.
De péripéties en petits coups de théâtre, de lucidité qui aggrave en ruse qui amuse, les stratégies des deux, les objections des copains, les réinventions d’un cérémonial, les interventions à double fond du père d’Alex (joué par le père de Jonás, le réalisateur Fernando Trueba) fabriquent une joyeuse et touchante aventure.
Ale et Alex finiront-ils par se retrouver ou par se séparer? Sans doute n’était-ce pas la vraie question du film. Peut-être dans la vie non plus. Face à cette heureuse incertitude, une seule certitude: le bonheur sans mélange de voir Septembre sans attendre.
«La Prisonnière de Bordeaux» de Patricia Mazuy
Quelques semaines après leur belle rencontre dans Les Gens d’à côté d’André Téchiné, Isabelle Huppert et Hafsia Herzi se retrouvent. Elles ne se rencontrent pas seulement sur l’affiche. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit de véritables rencontres, et même d’improbable proximité aux effets imprévus.
Dans des tonalités très différentes, Téchiné et Mazuy développent des questionnements similaires, sur les possibilités pour des personnes que tout supposément sépare de partager du temps, des lieux, des paroles, des imaginaires. Cette question, dont on voit combien elle résonne avec un état fractionné du monde et en particulier du pays, est ainsi posée de manière redoublée par deux cinéastes contemporains importants.
Dans La Prisonnière de Bordeaux, elles ne sont plus voisines, elles cohabitent carrément. Malgré tout ce qui les sépare, une situation commune les a rapprochées, et d’abord un lieu: le parloir. Leurs maris sont en prison. La riche demeure en centre-ville d’Alma lui semble encore plus vide. Y accueillir Mina, qui doit venir de loin dans des conditions difficiles pour visiter son petit malfrat de conjoint, les arrange toutes les deux.
Mais le film est bien plus que la mécanique narrative qu’enclenche cette cohabitation, et dont on prévoit les développements sous forme de commentaire sur les différences (de classe sociale, d’origine géographique, de génération), et les gags possibles. (…)