À voir au cinéma: «Shimoni», «On the Go», «Toutes pour une»

Geoffrey (Justin Mirichii), sorti de prison sans être libre.

Signés Angela Wanjiku Wamai, Julia de Castro et María Gisèle Royo ou Houda Benyamina, ce sont trois films de femmes de sensibilités très différentes. Première ou deuxième œuvre, il y a là trois découvertes singulières.

«Shimoni» d’Angela Wanjiku Wamai

«Tiens-toi tranquille maintenant», lui a dit le gardien de prison en ouvrant la grille. Geoffrey n’a rien dit. «Tu seras bien ici, au village», a dit son oncle en le laissant sous la garde du prêtre, loin de la ville où il vivait. Geoff n’a rien dit. Le prêtre, la matrone qui s’occupe de son intérieur, la jeune fille attirée par lui, l’artisan qui l’emploie ont chacune et chacun tenu un discours, un sermon, des conseils, des plaisanteries, des suggestions à cet homme jeune installé parmi eux. Lui, il n’a rien dit.

Le silence n’est pas en soi plus vertueux ou passionnant au cinéma que la parole: la sortie simultanée du magnifique La Voyageuse de Hong Sang-soo, où les mots sont si importants, suffirait à le rappeler. Mais dans ce premier film étonnant de la jeune réalisatrice kényane Angela Wanjiku Wamai, c’est bien autour de ce silence que se développe le film. Pour le meilleur (cinématographique) et pour le pire (quant à ce que le silence engendre dans la société –pas uniquement dans l’Afrique rurale).

Le titre est le nom du village où se déroule le film: il signifie «la fosse» en kikuyu, la langue de cette région. Cette fosse, c’est aussi bien celle du langage enfoui de son personnage central, vers lequel convergent tous les actes, toutes les paroles, tous les échanges initiés par les multiples autres protagonistes.

Ce trou, cet effondrement, a été creusé chez Geoffrey par deux événements traumatiques, qui hantent littéralement la suite des situations que le film met en scène. Shimoni, sans montrer de violence physique, fait résonner la brutalité des rapports, les rigidités des perceptions et de manières d’agir qui règlent une communauté.

La mise en scène organise la présence des corps et des voix comme un orchestre d’affects, de manières de penser, de façons de régler les comportements individuels et collectifs. Le silence de Geoff s’oppose aux multiples paroles des autres, mais les renvoie aussi à ce qu’ils taisent.

C’est le rapport au langage de ce curé rivé au dogme de son sacerdoce, c’est ce conte effrayant qu’entendent les enfants, ce sont les échanges des hommes et des femmes, surtout des femmes, pour organiser la vie commune, c’est le secret de la jeune fille et l’espoir de la petite fille d’aller à l’école qui tissent cette trame tendue, vibrante, paradoxale.

Beatrice (Vivian Wambui) et Martha (Muthoni Gathecha), deux regards sur Geoff, deux manières d'exister. | Sudu Connexion

Beatrice (Vivian Wambui) et Martha (Muthoni Gathecha), deux regards sur Geoff, deux manières d’exister. | Sudu Connexion

À cet entrelacs d’énoncés se mêlent, outre le mutisme de Geoffrey, les autres silences: celui de la femme qu’on a fait venir et qui ne peut rien dire de la tragédie qu’elle a subi, mais sait faire un geste qui la traduit, celui de la collectivité qui se tait et s’aveugle sur les actes atroces infligés par l’un des siens.

Peu à peu, Shimoni devient l’histoire de cette machination des silences, au-delà des décisions des un(e)s et des autres, et de leurs paroles –bien-pensantes, vengeresses, hypocrites, affectueuses, manipulatrices. Cette tension, très habitée par les puissantes incarnations de ces figures multiples, définit du même élan la singularité du film et son universalité.

Shimoni
d’Angela Wanjiku Wamai
avec Justin Mirichii, Muthoni Gathecha, Vivian Wambui, Sam Psenjen
Durée: 1h37
Sortie le 22 janvier 2025

«On the Go» de Julia de Castro et María Gisèle Royo

Ça commence par foutre le feu, se tirer à la mer dans une limousine décapotable, s’enliser, faire l’amour, rencontrer une sirène chinoise. On a déjà ri et sursauté, avant même d’avoir su à qui ou à quoi on avait affaire.

Qui sont ces personnages, qui sont ces réalisatrices, qu’est-ce que c’est que ce film? On n’en sait rien, on perçoit juste l’énergie, l’humour, un sens punk de la transgression apparemment foutraque et de fait attentive aux êtres, aux lumières, aux sonorités.

La Reine de Triana en sirène autostoppeuse (Chacha Huang) n'est pas la moins surprenante des passagères du film. | Outplay Films

La Reine de Triana en sirène autostoppeuse (Chacha Huang) n’est pas la moins surprenante des passagères du film. | Outplay Films

Et cela ne s’arrêtera pas, au cours chahuté du premier long-métrage de deux cinéastes, Julia de Castro et María Gisèle Royo, qui ont déjà une importante activité dans différentes pratiques artistiques. Ce qui se devine dans l’invention qui grouille au long des séquences.

Avec jubilation et un grand sens des formes visuelles, On the Go narre ainsi les aventures de Milagros, très inquiète de bientôt ne plus pouvoir avoir d’enfant, et de Jonathan, poète gay très actif sur les applis de rencontre, incendiaire à ses heures, dans une Andalousie torride, musicale et pas du tout touristique.

Avec ce film qui vient renforcer la certitude qu’il se passe beaucoup de choses passionnantes dans le jeune cinéma espagnol, on songe aux premiers longs-métrages d’Alain Guiraudie autant qu’à ceux de Pedro Almodóvar, ou à des essais loufoques de road movies déjantés des années 1980, mais le film est bien d’aujourd’hui. (…)

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