À voir au cinéma: «J’ai vu trois lumières noires», «Magma», «Lumière!»

Le vieux José, en chemin vers une ultime aventure chez les vivants et les morts dans J’ai vu trois lumières noires.

L’épopée fantomatique d’un guérisseur chez Santiago Lozano Álvarez, la danse des pouvoirs, des savoirs et des croyances autour d’un volcan avec Cyprien Vial, le chant d’amour de Thierry Frémaux au cinéma sont autant de célébrations des puissances de cet art.

«J’ai vu trois lumières noires» de Santiago Lozano Álvarez

C’est un grand fleuve, qui coule au milieu d’une forêt tropicale. On le voit un moment, puis la caméra se déplace horizontalement, son mouvement lent balaie la jungle épaisse, se poursuit jusqu’à ce que le même fleuve, vu selon l’axe opposé, occupe la même place dans l’image.

N’importe qui peut faire un panoramique à 180 degrés depuis le milieu d’un pont. Tout le monde ne peut pas faire le premier plan de J’ai vu trois lumières noires. Seul un authentique cinéaste est capable de donner à la fois cette évidence, cette beauté, cette profondeur à ce qui paraît d’une extrême simplicité. Et qui, on le saura plus tard, annonce à plus d’un titre la grande aventure qui va suivre.

La grande aventure sera celle du vieux José de Los Santos. Quand il débarque dans une cérémonie où il a été appelé, ça n’a l’air ni grand ni aventureux. Ce sont des funérailles de village, mi-rituel mi-fête. On boit, on fait de la musique, José fait ce qu’il fait depuis très longtemps, ce pourquoi on l’appelle et pourquoi on l’estime: accomplir les actes qui conviennent, pour les morts comme pour les vivants.

Guérisseur, chamane, sorcier, prêtre: qu’importe le nom qu’on donnera à celui qui porte comme un devoir sacré, comme un fardeau et comme un boulot de chaque jour l’ensemble de ce qu’il a appris, et qu’il ne sait à qui transmettre. Le mort dont il faut s’occuper est un noyé, repêché dans le fleuve. Curieux noyé, avec bien visible dans la poitrine l’endroit où est entrée la balle qui l’a tué.

C’est que partout autour du village, dans la forêt et le long du fleuve, et des autres fleuves, il y a la guerre. Une guerre violente et cruelle, dont les villageois sont les victimes et les otages, tandis que s’affrontent sans merci les prospecteurs envoyés par des puissants qu’on ne verra jamais et leur escorte de paramilitaires, et les guérilleros engagés dans la lutte armée depuis si longtemps que celle-ci est devenue non un moyen mais un mode de vie, un destin.

Quand il rentre chez lui, José est attendu par une des victimes de cette guerre, son fils, qui porte le nom étrange de Pium-Pium. Pium-Pium est mort. Il a été tué par la guérilla après qu’il a rejoint les rangs des chercheurs d’or qui détruisent la terre, mais paient bien. José a compris.

Qui rencontre un mort va mourir à son tour. Mais cela, il ne peut se contenter de le subir, il doit accomplir un ensemble de tâches dont lui seul connaît le sens et la nécessité. Commence alors la magnifique odyssée du vieux José, par les forêts, les camps de guerre, les lieux habités de divinités multiples, de spectres et d’animaux, les chantiers où des hommes hébétés de violence protègent les pelleteuses destructrices.

Entre mysticisme chrétien, mythologies venues d’Afrique, vie quotidienne, sidérantes beautés de la nature, violence politique, allégeances multiples aux puissances terrestres ou invisibles, voici l’odyssée du bonhomme à lunettes, héros taciturne.

Visibles par José, et par la caméra, les êtres qui hantent la forêt et l'histoire de cette région meurtrie de Colombie. | Dublin Films

Visibles par José, et par la caméra, les êtres qui hantent la forêt et l’histoire de cette région meurtrie de Colombie. | Dublin Films

De nombreux phénomènes mystérieux habitent le deuxième long-métrage du cinéaste colombien Santiago Lozano Álvarez, après Siembra, coréalisé avec Angela Osorio en 2015 et jamais distribué en France. Parmi ces mystères, le plus évident mais pas plus explicable pour autant est la puissance vibrante de chaque plan, le rayonnement troublant des êtres et de ce qui circule entre eux, dans les situations multiples qui composent cette fresque mémorable.

Ainsi J’ai vu trois lumières noires devient une grande aventure, aussi pour ses spectateurs et spectatrices.

J’ai vu trois lumières noires
de Santiago Lozano Álvarez
avec Jesús María Mina, Carol Hurtado, John Alex Castillo, Julián Ramirez
Durée: 1h27
Sortie le 19 mars 2025

«Magma» de Cyprien Vial

Le volcan a grondé, il a craché une colonne de cendres. Que faut-il faire? Répondre à cette question est le travail de Katia Reiter et de la petite équipe qu’elle dirige au laboratoire de volcanologie, près de la Soufrière, en Guadeloupe.

Répondre à cette question est aussi la tâche du préfet. Et c’est ce que doivent également décider, d’une manière ou d’une autre, individuellement et collectivement, les habitants de la zone un peu, beaucoup, extrêmement ou pas du tout menacée par un risque d’éruption majeur.

La scientifique (Marina Foïs) face à des données complexes, difficiles à interpréter. | Pyramide

La scientifique (Marina Foïs) face à des données complexes, difficiles à interpréter. | Pyramide

«Tout le monde a ses raisons», disait Jean Renoir dans La Règle du jeu, en trouvant cela «terrible». Mais avoir ses raisons ne signifie pas avoir raison. Et la rationalité, scientifique mais aussi des prérogatives de Katia comme femme responsable dans un milieu très masculin, et comme ainée face à un thésard qui est, lui, guadeloupéen quand elle vient de métropole, ne peut pas devenir si aisément objective.

Pas plus que ne sont irréfutables les raisons politiques et de communication, mais aussi de gestion économique, que prend en compte le préfet, ou les angoisses et les besoins, mais aussi les savoirs, et les colères de la longue histoire coloniale vécue par les habitants.

Il y a les graphiques des appareils d’analyse, les instructions de Paris, les rapports d’affection, de pouvoir, de révolte entre les personnes. Et le volcan, qui lui aussi a ses raisons, même si, surtout si personne ne peut entièrement les décrypter.

Autour de la menace d’une catastrophe, «naturelle» si on veut mais dont les formes dépendront de décisions humaines, et des dégâts considérables qu’entrainent aussi évacuation, interdictions multiples, quadrillage policier, se déploient un réseau d’intrigues, d’affrontements, d’alliances. Cela se joue entre individus, entre groupes, en interactions avec les données chiffrées et avec les mouvements du magma volcanique ou les secousses dans le sol, comme avec les mots employés, les gestes et les silences. (…)

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