À voir au cinéma : «Un parfait inconnu», «La Pie voleuse», «Apprendre», «Slocum et moi»

Apprendre à jouer, jouer à apprendre, à prendre en considération, en affection et en jubilation dans le film de Claire Simon.

De Bob Dylan à un petit banlieusard rêveur des années 1950, dans une école ou un quartier de Marseille, les films de James Mangold, de Jean-François Laguionie, de Claire Simon et de Robert Guédiguian inventent des éclairages inédits.

Une production hollywoodienne avec une star (Timothée Chalamet) dans le rôle d’une star (Bob Dylan), le nouveau film «guédiguianissime» de Robert Guédiguian, un documentaire à l’école, un dessin animé dans la France périurbaine de l’après-guerre: difficile de faire plus hétérogène.

Pourtant, de ces films qui n’ont en commun que de sortir sur les écrans français ce même mercredi 29 janvier, émane une effluve partagée et plutôt surprenante en cette période: une sorte d’optimisme, d’affirmation de possibles.

Déjouant l’imagerie simpliste accolée à l’évolution de Dylan au milieu des années 1960, contant une intrigue à la morale volontariste, posant un regard délibérément orienté vers ce qui se joue de beau et d’essentiel dans l’enseignement, exaltant doucement les puissances d’un désir qui fait grandir, les films de James Mangold, Robert Guédiguian, Claire Simon et Jean-François Laguionie déclinent sur des modes variés cet élan vers le haut.

Aucune conclusion péremptoire à en tirer: juste ce constat du désir de réalisateurs et réalisatrice de vouloir ne pas baisser les bras devant les noirceurs du présent et de l’avenir.

«Un parfait inconnu» de James Mangold

À la différence d’un des précédents films du même James Mangold, réalisateur aussi doué que versatile (Walk the Line, consacré à Johnny Cash), Un parfait inconnu n’est pas un biopic.

Loin de raconter la vie de Bob Dylan, il se consacre à la seule période qui va de janvier 1961, date à laquelle le jeune homme de 19 ans venu du Minnesota débarque à New York avec sa guitare, à juillet 1965, au moment du célèbre concert de Newport où Dylan, devenu star du protest song acoustique, impose à son public plusieurs morceaux puissamment électrifiés.

C’est le climax du film, dont le scénario s’inspire du livre justement titré Dylan Goes Electric! Newport, Seeger, Dylan, and the Night that Split the Sixties d’Elijah Wald.

Dylan (Timothée Chalamet) et Joan Baez (Monica Barbaro) en concert au Newport Folk Festival. | Searchlight Pictures

Dylan (Timothée Chalamet) et Joan Baez (Monica Barbaro) en concert au Newport Folk Festival. | Searchlight Pictures

Fort heureusement, Un parfait inconnu ne se contente pas de rejouer cette dramaturgie simpliste, en grande partie grâce à celui dont le nom figure aussi dans le titre du livre, Pete Seeger. Le film de Mangold lui réserve un rôle important et bien plus nuancé que l’incarnation d’un progressisme rétrograde s’opposant à une mutation rock qui, en réalité, avait déjà commencé depuis un bon moment.

Avec Seeger, grâce aussi à la figure spectrale de Woody Guthrie agonisant à l’hôpital et à qui Dylan rendit visite dès son arrivée sur la côte est pour lui chanter son hymne-hommage, c’est aussi l’histoire longue des luttes sociales et de résistances aux multiples oppressions et crimes collectifs fondateurs de l’Amérique qui revient hanter le film –jusqu’à ses dernières images.

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Bob Dylan et Pete Seeger (Edward Norton), le «couple» le plus essentiel du récit.

Dylan est une star «universelle», désormais statufiée par son prix Nobel, mais il n’est pas évident qu’il passionne un public né après non seulement «Blowin’ in the Wind» (1962), mais après «Hurricane» (1975), et même après l’album Love and Theft (2001). D’où l’autre enjeu du film: la relation entre le modèle et l’icône adolescente du moment Timothée Chalamet, qui l’interprète à l’écran.

Chalamet est un très bon acteur, on nous dit que c’est aussi lui qui chante sur la bande-son. Il y a toutes les raisons de reconnaitre une réussite du point de vue de l’interprétation –du rôle comme des chansons. Ce qui ne dispense pas de souligner que le jeune comédien est nettement plus lisse et plus mignon que n’était le Robert Zimmerman qui débarquait à Greenwich Village, avec des sonorités et une présence dont on ne peut guère mesurer aujourd’hui ce qu’elles avaient, plus encore que ses premiers textes, de transgressives.

Bien plus que la précision dans la fidélité aux événements d’alors, qui ont fait l’objet d’un tombereau de biographies, et au-delà des souvenirs émouvants que le film peut évoquer à qui fut peu ou prou contemporain de cette histoire, l’œuvre importe surtout pour la relation entre ce qui se joua en 1961-65 et aujourd’hui.

C’est sur cette autre ligne de crête, entre réalité des enjeux de radicalités –politiques et artistiques– telles qu’elles se sont formulées à une autre époque, et échos avec des réalités contemporaines, celles du spectacle, des technologies, des modes d’engagement, que circule Un parfait inconnu.

Sans vouloir mettre à mal le pacte implicite entre spectateur et production mainstream, il ne cesse d’entrebâiller d’autres portes, d’autres questions, d’autres possibilités de songer, aujourd’hui, à ce qui s’est produit alors, dans les bars folks, sur les scènes avec Joan Baez chantant «We Shall Overcome» («Nous triompherons», tu parles!), et puis l’hymne rageur dénonçant le sacrifice des fils sur le Highway 61, encore à revisiter.

Un parfait inconnu
de James Mangold
avec Timothée Chalamet, Edward Norton, Monica Barbaro, Elle Fanning, Boyd Holbrook
Durée: 2h20
Sortie le 29 janvier 2025

«La Pie voleuse» de Robert Guédiguian

La douzaine d’huîtres sur la terrasse, face à la mer, avec le piano de Rubinstein. C’est, oui, une possible idée non pas du bonheur, mais du bien-être. C’est en tout cas l’idée de Maria, qui n’a pas du tout les moyens de ce que cette situation évoque de luxueux.

Mais, très loin du luxe, elle a sa manière à elle de fabriquer la possibilité de ces moments qui font que, comme disait la chanson, ça vaut le coup de vivre sa vie –pas «la» vie, mais sa vie à elle.

Maria (Ariane Ascaride), son mari (Gérard Meylan), et des ennuis en perspective. | Diaphana Distribution

Maria (Ariane Ascaride), son mari (Gérard Meylan), et des ennuis en perspective. | Diaphana Distribution

Pour cela il faut en passer par des risques, des efforts, des inventions. C’est le joyeux, parfois triste et toujours séduisant mécanisme romanesque mis en place par Robert Guédiguian, avec la complicité du dramaturge et scénariste Serge Valletti.

Il y aura des rebondissements, des coups de foudre, des trahisons, des révélations, tout ce qu’il faut. Mais le 24e film de l’auteur de Marius et Jeannette depuis Dernier Été en 1981 est surtout, grâce aux stimulations d’une fiction inventive et tendre, une invitation à une sorte de flânerie qui n’a rien de futile ni de paresseux. Flânerie dans ce qu’on caricaturerait en le désignant comme «le petit monde de Guédiguian», même si celui-ci en a effectivement fait le cadre d’une grande partie de ses films.

Mais circuler à ses côtés dans les ruelles de l’Estaque, recroiser les visages et les corps, sur lesquels le temps a passé, des acteurs et actrices qui l’accompagnent depuis des décennies (Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan) ou l’ont rejoint depuis (Lola Naymark, Robinson Stévenin, Grégoire Leprince-Ringuet) est bien davantage qu’un geste de retrouvailles affectueuses, même si c’est aussi ça.

C’est aux côtés d’Ariane-Maria, de sa générosité et de ses dissimulations, affirmer simultanément deux enjeux qui méritent attention et engagement. L’un consiste à revendiquer que tout ce qui appartient à des états du monde, de la ville, des rapports sociaux supposément révolus, liés à une époque dépassée, est encore là de multiples manières –des lieux, des gestes, des paroles, des idées, des manières d’agir.

Nul n’ignore que le monde a changé, et pas forcément pour le meilleur. C’est autre chose de faire croire, comme les maîtres actuels s’y complaisent, que tout ce qui a précédé a disparu.

Dans le dédale ludique des péripéties amicales, amoureuses et policières que dessine La Pie voleuse se manifeste, en sourdine mais bien perceptible, tout un répertoire de manières d’être que Guédiguian refuse de laisser invisibiliser, exactement comme son héroïne refuse que son quotidien soit englouti dans une fatalité de pauvreté médiocre.

À cette attention à ce qui, pris un par un, ne serait qu’une collection de détails, et qui ensemble, compose une manière de ne pas se soumettre, fait écho l’autre suggestion obstinée du film, «avec élégance et simplicité» comme indiqué sur une partition de l’œuvre de Rossini qui donne son titre au film, et que joue au piano le petit-fils adoré de Maria.

Cette suggestion obstinée est le choix d’une forme assumée, presque bravache, d’optimisme. Dans un environnement où pratiquement tout incite à la déprime, sinon à la terreur, l’affirmation de possibles bienfaisants à raconter et à défendre ne relève pas d’une illusion, mais d’un choix actif et décidé. Avec un petit verre de blanc, les huîtres.

La Pie voleuse
de Robert Guédiguian
avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Marilou Aussilloux, Grégoire Leprince-Ringuet
Durée: 1h41
Sortie le 29 janvier 2025

«Apprendre» de Claire Simon

Quand bien même on n’y aurait jamais songé, la richesse du double sens du verbe qui donne son titre au film s’impose très vite. Là, tout le temps, tout le monde apprend. Partout et tout le temps. «Là», c’est une école communale, en banlieue parisienne (Ivry-sur-Seine).

Là, tout le monde apprend, c’est-à-dire transmet du savoir et des compréhensions, et reçoit du savoir et des compréhensions. Les enfants comme les maîtres –et aussi le directeur de l’école Makarenko, et un peu les parents. Et la réalisatrice, Claire Simon. (…)

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