«Viendra le feu» embrase l’écran

Face aux incendies, un combat à la fois terriblement réel et mythique.

La fiction minimaliste d’Oliver Laxe s’approche au plus près des flammes des incendies qui ravagent l’Europe, en même temps que des feux intérieurs d’êtres humains d’une très émouvante présence.

Il rentre chez lui, au village. Il est comme un étranger, un paria. Il sort de prison, après avoir été condamné comme incendiaire. Commence le premier film.

Le film de la reconstruction lente, incertaine, peut-être fausse, du rapport d’un homme à sa terre, aux paysages où il est né et où il a travaillé toute sa vie, à sa communauté.

Il y a sa mère, les bêtes, il y a la ferme. Il y a une autre femme et tous les autres, les commerçants, les paysans.

À propos de cet homme taiseux, dur à la tâche, comme habité d’un songe intérieur dont on ne sait si c’est une fureur, une tristesse ou une résignation, chacun et chacune éprouve des opinions et des émotions différentes. Le plus souvent, elles ne sont pas formulées.

Mais devant la caméra ultrasensible d’Oliver Laxe, sismographe captant les vibrations intérieurs des paysages et des corps, spectrographe des lumières et des ombres de la nature et du cœur humain, le public à son tour les devine, les pressent. Il fait sombre, souvent.

Une autre Europe

Il y a le temps. Et la nature. Et le travail. Parfois aussi un geste qui semble une transgression, de laisser seulement échapper la visibilité d’une affection.

On est en Espagne, en Galice –à peu de choses près, on pourrait être en Calabre ou en Grèce, et à guère de détails supplémentaires, en Carélie ou en Bucovine.

Ces mondes existent toujours en Europe aujourd’hui, même s’ils sont loin de ce qui fait image, de ce qui fait modèle. Dans ces mondes se jouent des rapports entre les êtres –humains, animaux, végétaux, minéraux, météorologiques–, qui travaillent souterrainement l’existence de nous toutes et tous, même des gens qui s’en sentent absolument éloignés.

Amador, celui qui revient (Amador Arias), et sa mère Benedicta, qui l’attendait (Benedicta Sánchez).

Dans ces champs détrempés ou avec le crépitement d’un poêle passe la possibilité d’envoûtements, que manifeste la présence surnaturelle, artificielle des chants baroques ou de «Suzanne», l’enchanteresse de Leonard Cohen.

Oliver Laxe, on le sait depuis Vous êtes tous des capitaines et surtout son magnifique Mimosas, est un cinéaste qui se soucie des dimensions fantastiques du réel tout autant que de ses aspects les plus terre-à-terre.

Ancré dans son territoire, celui d’où vient ce cinéaste pourtant cosmopolite, Viendra le feu n’est pas –ou en tout cas pas uniquement– une histoire de populations rurales dans une nature ingrate et puissante à la fois, où il pleut et gèle avant que la chaleur ne monte comme une fièvre.

Puisque, donc, viendra le feu. Commence alors le deuxième film dans ce film unique. Il se trouve que cette région est l’une des plus systématiquement ravagées par les incendies de forêt du vieux continent, et que le dérèglement climatique aggrave sans cesse la tendance.

Le diable probablement

Mais il n’y a pas que le feu. Le film s’est ouvert sur les images violentes de l’abattage d’arbres, comme un massacre d’innocents qui rappelle l’une des séquences inoubliables du Diable probablement de Robert Bresson –le premier grand cri d’alarme et de douleur au cinéma face à cette dévastation de la terre et des êtres qui la peuple.

Au début, encore une manière de miracle, le bulldozer restait interdit face à la majesté d’un eucalyptus, comme un grand roi archaïque, une divinité d’une religion oubliée. Le feu, lui, ne s’arrêtera devant rien.

Avec les incendies de forêt se rallument les haines, les soupçons, les angoisses. Amador est-il vraiment un incendiaire, le fut-il même jamais? On ne saura pas. Le sujet n’est pas ici une enquête policière. Le feu, lui, il s’en fout: il brûle, et le film brûle avec lui.

On en a vus, des incendies, au cinéma. Mais des comme ça, jamais. (…)

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