À la fois mobile et attentif, le film ne cesse d’avancer dans les méandres de l’hôpital aux côtés des femmes, de leurs corps, de leurs paroles, de leurs souffrances, de leurs désirs.
Le nouveau film de Claire Simon regarde avec tendresse et précision les multiples formes du soin concernant les femmes (y compris la cinéaste elle-même) dans un hôpital exploré comme un territoire à redécouvrir.
Tout de suite, elle dit comment elle est arrivée là. Là, dans cet hôpital où elle va filmer. Comment, c’est-à-dire par quel chemin de réflexion, de rencontre et de désir, mais aussi très concrètement quel parcours ses pieds effectuent pour mener Claire Simon, caméra en main, de chez elle à ce lieu. Ce lieu, c’est l’hôpital Tenon, dans le XXe arrondissement de Paris. Qu’il lui faille, pour y arriver, traverser le cimetière du Père-Lachaise n’est pas qu’anecdotique, ni que topographique.
Et donc, d’emblée, il y a quelqu’un, plus exactement quelqu’une. Pour l’instant, on peut dire: une femme, une cinéaste. Elle accompagne, avec caméra et micro, le passage par les différents services qui ont, d’une manière ou d’une autre, à s’occuper de femmes. Y compris de celles, ceux et ciels qui se trouvent à différentes étapes d’un trajet entre les genres fixés par l’anatomie et l’héritage sociohistorique.
Poursuivant l’élan du chemin vers l’hôpital montré au début, tout Notre corps est un film en mouvement. Cela ne va pas de soi, quand la plupart des situations filmées –rencontres avec des équipes soignantes, traitements, opérations, etc.– sont statiques.
Statiques et morcelées: les services réservés à la grossesse et l’accouchement, la fertilité, les maladies gynécologiques, les questions liées au genre et les éventuelles transformations, les cancers qui frappent spécifiquement les femmes relèvent d’espaces différents, de techniques différentes, mises en œuvre par des soignants différents, dans des conditions psychologiques et émotionnelles elles aussi différentes.
C’est le grand art de cinéaste de Claire Simon d’en faire cette aventure qui avance, cette épopée quotidienne, magnifique, mystérieuse, dont la cohérence interne s’éprouve constamment, au-delà de la singularité des personnes et des situations. Quelque chose porte en avant le déroulement du film, grâce à une infinité de choix de réalisation, qui tous relèvent très exactement de ce dont il est question: le soin. Le film prend soin de celles et ceux qu’il montre, comme il s’agit, avec d’autres procédés, de prendre soin des personnes dont s’occupe l’hôpital.
Multiples puissances du nous
Au cœur de cette approche déployée par la réalisatrice plan après plan se trouve un parti pris évident, qui est de faire des patientes, dans leur formidable diversité de situations (pas seulement médicales) le centre de l’attention. Les patientes, et d’abord leurs corps: on voit, dans leur présence vivante, beaucoup de peau, beaucoup de chair, beaucoup de touchers, de palpations au cours de ces séquences qui font aussi la part si belle aux enjeux de paroles et aux puissances des regards.

Affirmer la frontalité d’un regard sur le corps, tout le corps des femmes. | Sophie Dulac Distribution
L’usage, omniprésent, du masque chirurgical, joue aussi un étrange rôle scénographique. En minimisant (sans la faire disparaître) et en problématisant la présence des visages, il augmente les puissances expressives du corps tout entier –la corpulence, la gestuelle, les postures. Même quand tel ou tel corps semble ne rien faire de particulier. Et cela vaut aussi pour telle et telle partie du corps féminin, regardée avec respect et considération, sans indiscrétion et sans pruderie.
Ainsi rarement un titre aura été aussi ajusté que Notre corps, pour un film qui rend perceptible l’extraordinaire cosmos saturé d’histoires, d’espoirs, de peurs, de stratégies, de drames qu’est chaque corps. Et pour affirmer ce «nous» qui vaut absolument pour les femmes et n’exclut en rien un «nous, les humains», voire un «nous, les vivants».
Désirs de changement et trajets singuliers
Il faut faire une place particulière aux situations des personnes engagées dans des processus, à chaque fois particuliers, de rapport à leur identité, à leur anatomie sexuée, à leur apparence, à des récits les concernant –les leurs et ceux des autres. Et il faut capter l’intelligence fine, inquiète, tissant sans cesse propositions de repères médicaux et juridiques et disponibilité aux attentes et aux besoins des individus, que montrent les rencontres où toujours se trouvent deux soignants, une femme et un homme. Et souvent face à elle et lui deux personnes aussi, à la relation chaque fois différente.
Ces situations ne sont pas en marge des enjeux plus traditionnellement médicaux de l’hôpital, d’une certaine manière, elles en disent la vérité. Et c’est en les agençant avec d’autres activités hospitalières que le film donne à percevoir le véritable enjeu du soin tel qu’il est à espérer de l’hôpital, de tout l’hôpital. Soigner des humains, pas forcément des pathologies répertoriées. (…)