«Apolonia, Apolonia», reflets dans un œil d’art

Apolonia au travail, dans les multiples reflets de ses tableaux et du regard de celle qui la filme.

Une et deux et trois: aux côtés d’une jeune peintre, le film de Lea Glob est une sidérante et émouvante invention d’un chemin de vie.

Les pieds nus d’une toute petite fille marchent dans l’herbe, filmés d’en haut. La voix off dit: «Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours vu le monde à travers une caméra.» La voix est celle de la réalisatrice, les pieds aussi, quand elle était petite.

La voix, le corps, le temps qui a passé, la caméra, l’intimité du «je». La petite scène est en marge de ce que raconte le troisième film de la réalisatrice danoise Lea Glob, découverte il y a huit ans avec le merveilleux Olmo et la mouette. Et pourtant, cette scène en aparté est d’emblée tissée de beaucoup de ce qui fait d‘Apolonia, Apolonia un film sidérant et très émouvant.

Le prénom redoublé du titre est celui d’une autre jeune femme, découverte à la première image, devant son miroir, arrangeant son apparence. Le redoublement pointe vers les effets de miroir du film, qui ne cesseront de se démultiplier.

La réalisatrice était allée voir Apolonia pour tourner un exercice destiné à l’école de cinéma où elle était élève. Française née et élevée dans un théâtre alternatif parisien, puis venue avec sa mère à Copenhague, celle qui donne son nom au film est alors devenue élève aux Beaux-Arts, où elle étudie la peinture figurative.

Elle est en effet une figure intrigante à plus d’un titre: sa personnalité, son parcours personnel, son histoire familiale. Il y avait assurément matière à un portrait pour une étudiante en réalisation documentaire. Mais au lieu d’un court-métrage d’école, Lea va filmer Apolonia durant treize ans.

Aventure en x dimensions affectives, sensorielles, artistiques, politiques

À Paris, à New York, à Los Angeles, à Istanbul, en Pologne, au Danemark. Une troisième jeune femme, plus étonnante encore que celle qui filme et celle qui est filmée, Oksana, une des fondatrices des Femen, devient le troisième pôle de cette aventure en x dimensions affectives, sensorielles, artistiques, politiques. Il y aura le feu et la mort, la gloire et la naissance, des amours et des silences.

Lea filme Apolonia, à l’orée de l’essor d’artiste peintre pour l’une, de cinéaste pour l’autre. | Survivance

Il y a les images improbables des vidéos intimes tournées par les parents d’Apolonia et les portraits impressionnants que celle-ci peint à la chaîne sur de très grandes toiles pour un businessman de l’art contemporain, tandis que Harvey Weinstein l’attend pour prendre le thé. Le temps passe, les corps et les visages et les espérances changent.

La cinéaste qu’on voit très peu, et puis un peu plus, mais qu’on entend, la peintre qu’on voit tout le temps, l’activiste exilée qu’on entrevoit inoubliablement, le savent, le vivent. Chacune des trois artistes l’exprime à sa manière. Les images travaillent, celles du film, celles des tableaux, les archives vidéo, les performances, les maquettes qui matérialisent les lieux successifs.

Le cinéma, le documentaire

En principe, cet article ne devrait pas être consacré à Apolonia, Apolonia pour une raison stupide et imparable. Ma précédente critique était consacrée à trois documentaires remarquables sortis le 20 mars, Une famille, Averroès et Rosa Parks et Smoke Sauna Sisterhood. Il était exclu de reparler aussitôt après d’un autre documentaire, lorsqu’il sort en salles tant de films, si différents entre eux, et qu’on cherche ici à considérer tout le cinéma.

Mais voilà. Il y a dans le film de Lea Glob plus de mystère, plus de sensualité, plus d’humour, plus de drame, plus de folie, plus de joie et de désespoir que dans toutes les fictions réunies qui arrivent sur grand écran en ce nouveau mercredi de sorties de film. (…)

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