Le prince (plus ou moins) charmant et la strip-teaseuse (Mark Eydelshteyn et Mikey Madison), pour un conte de fées mijoté à point.
Le film de Sean Baker est un modèle de produit «film d’auteur agréablement consensuel». Avec les qualités et les limites du genre.
Pas grand monde ne l’avait vu venir, mais presque tout le monde a été content. L’attribution de la Palme d’or 2024 à Anora, le septième film de Sean Baker a, comme on dit, «fait consensus».
Tant mieux, en ces temps où tout divise et exacerbe les hostilités. Et puis le film n’a, autre formule toute faite, «que des qualités». On pourrait même dire, troisième truisme –mais il les appelle mécaniquement– qu’il «coche toutes les cases».
Une histoire d’amour romantique menée tambour battant, des signaux féministes appuyés, le plaisir de dire du mal des riches, surtout des très méchants (les oligarques russes), tout en jouissant au moins par procuration des fastes du grand luxe, une BO entraînante et très actuelle avec ses quarante-six morceaux musicaux, un petit clin d’œil progressiste en faveur des immigrés, une fin morale qui réconcilie tout le monde… Que voulez-vous de plus?
Rien, en effet. Dans la catégorie «mainstream indé», le programme est imparable. Il bénéficie d’une incontestable énergie dans la réalisation et l’interprétation, notamment celle de Mikey Madison en jeune strip-teaseuse séduisant un fils de milliardaire, et étant séduite par lui.

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D’un appartement luxueux dans la zone la plus chic du quartier russe de New York au kitsch saturé de couleurs et de bruits de Las Vegas, de scènes de lit enthousiastes en bagarres burlesques, les tribulations d’Anora et Ivan zigzaguent avec entrain, sous les auspices d’une esthétique largement inspirée des jeux vidéo. La présence physique de la jeune actrice est d’ailleurs à peu près le seul aspect qui échappe à la pure programmation d’un mix Cendrillon/«sex, drugs and rock’n’roll».
Le rythme endiablé, les répliques taillées au cordeau, les transgressions soigneusement contrôlées, la gestion au trébuchet d’érotisme et de correction politique, font d’Anora un dispositif d’une incontestable efficacité, qui assurément ne dérangera personne et ne posera aucune question.
Et alors? Est-ce donc nécessaire de déranger les gens? N’avons-nous pas assez de questions à nous poser en dehors du cinéma? Ces interrogations sont légitimes, et pour ce film fabriqué loin des blockbusters formatés et des grosses recettes de l’horreur et du comique franchouillard, il n’y a rien à reprocher à Sean Baker.
Modélisation et juste milieu
Mais on peut aussi prendre acte des limites de cet exercice unanimiste, labellisé «film d’auteur sans prise de tête». Qui espèrerait malgré tout une forme de trouble, ou du moins une place laissée ouverte au spectateur, où il pourrait répondre autrement que par les automatismes produits par une succession de stimuli parfaitement calibrés, en sera pour ses frais. (…)