Yang-Yang (Jonathan Chang), l’enfant à l’affût des secrets du monde.
Étape de la tardive consécration d’un grand cinéaste, la réédition du chef-d’œuvre d’Edward Yang aux multiples dimensions est d’abord un immense bonheur de spectateur.
a ressortie, en copies magnifiquement restaurées, du dernier film d’Edward Yang, complète le mouvement de retour dans la lumière du grand cinéaste taïwanais, après la distribution en juillet de ses deux précédentes réalisations, Confusion chez Confucius et Mahjong, qui étaient, elles, restées inédites.
Il y a vingt-cinq ans, Yi Yi a valu à son auteur une reconnaissance internationale aussi tardive que méritée, lors de sa présentation au Festival de Cannes en 2000 et de sa distribution dans le monde –sauf à Taïwan, restée à l’époque hostile au plus turbulent de ses grands artistes.
Une ombre de tristesse accompagne dès lors le sentiment d’occasions manquées, après les échecs des six premiers longs-métrages d’Edward Yang –aujourd’hui réhabilités–, avec le couperet du cancer qui allait empêcher le cinéaste de mener à bien un autre projet et finalement l’emporter en juin 2007, à 59 ans.
Mais il reste la splendeur profuse et vibrante de ce film exceptionnel. Il se déploie comme un grand arbre, dont le tronc et les branches maîtresses seraient constitués par les membres d’une famille de la classe moyenne de Taipei: NJ, le père informaticien, la mère, fonctionnaire dépressive, la grand-mère maternelle, bientôt dans le coma et à qui tout le monde vient parler à tour de rôle, et les deux enfants, l’adolescente Ting-Ting et le petit Yang-Yang.
Autour d’eux, les parents et beaux-parents, les amoureux et amoureuses, les voisines, collègues, relations d’affaires et camarades de classe déploient les ramifications d’une multitudes de récits, de scènes, de situations où le burlesque embraye sur la mélancolie, où le passé affleure dans le présent, où la tendresse et la cruauté jouent des parties complexes et incertaines.

Sous l’apparence d’un moment de tendresse entre la grand-mère (Tang Ru-yun) et sa petite-fille (Kelly Lee), l’incertitude et la culpabilité, comme des fantômes. | Carlotta Films
Et c’est tout un monde qui se déploie, au plus près de gestes de chaque jour comme au fil des tournants qui rythment une existence, dans l’intimité d’une famille et au cœur des mutations économiques planétaires.
Une des caractéristiques d’Edward Yang est d’avoir été le grand cinéaste de la ville contemporaine telle qu’elle s’esquisse en Asie à la fin du XXe siècle, selon des modèles qui se mondialiseront au siècle suivant. Depuis Taipei Story (1985) et The Terrorizers (1986), il a ainsi développé un répertoire visuel qui trouve de nouveaux accomplissements dans Yi Yi (2000).
Ils se manifestent par le jeu des reflets dans les vitres et les surfaces des bâtiments modernes, la durée des plans où les rythmes de la cité deviennent musique vibrante de sens, les géométries coupantes ou complices qui redécoupent l’image, les jeux ironiques ou glaçants autour de l’omniprésence des écrans.
Un réseau de tensions, de désirs, d’angoisses, de séductions
Ingénieur informatique de formation, Edward Yang connecte ensemble selon des relations logiques, toujours lisibles, les multiples composants d’un réseau de tensions, de désirs, d’angoisses, de séductions qui composent un paysage infiniment riche et habité. (…)