Fifi (Manar Shehab), celle par qui le scandale arrive parce qu’elle voulait vivre sa vie, dans un monde où cela lui est, à plusieurs titres, interdit.
Dans une famille palestinienne en Israël avant le début du génocide, d’un extrême à l’autre de l’Amérique latine à l’époque de la théologie de la libération, les films de Scandar Copti et de François-Xavier Drouet font résonner des situations révolues avec le présent.
Contrairement à ce qui se dit souvent, le cinéma n’est pas une machine à remonter le temps. C’est un dispositif qui permet de mettre en relation des époques et des temporalités différentes. Ainsi vont deux films «anachroniques» qui sortent en salles ce mercredi 3 septembre. Chacun à sa manière, l’un plutôt fiction et l’autre plutôt documentaire de montage, ils concernent une époque révolue, la situation des Palestiniens qui habitent en Israël avant que ne débute le génocide à Gaza et ce que fut le mouvement de la théologie de la libération en Amérique latine dans les années 1970-2000.
S’ils peuvent être dits «anachroniques», c’est de manière positive, n’étant pas –principalement– des témoignages du passé, mais des incitations dynamiques à percevoir ce qui existe au présent issu de ce qui s’est produit auparavant, et en quoi ces situations d’une autre époque sont éclairantes pour aujourd’hui. Grâce à l’énergie vive et à l’inventivité formelle de leur réalisation, l’un et l’autre sont porteurs d’une charge à la fois émotionnelle et réflexive qu’augmente le rapport aux chronologies historiques qui, de manière particulière pour chacun, les traversent.
«Chroniques d’Haïfa – Histoires palestiniennes», de Scandar Copti
Le deuxième long-métrage du cinéaste palestinien né en Israël Scandar Copti pourrait être une variation autour d’une histoire comme il s’en produit et surtout s’en raconte à peu près partout et en tous temps. Une histoire de conflits familiaux, entre générations, entre rapports aux traditions et à la modernité, entre membres de communautés qui ne peuvent ou ne veulent pas cohabiter.
Une jeune femme cache à sa famille sa relation amoureuse hors des normes patriarcales en vigueur. Son frère a une histoire d’amour avec une femme issue d’une autre communauté. Leurs parents se comportent selon des normes conformistes que l’on tient pour archaïques et attentatoires aux libertés en Occident; le père et la mère jouant chacun·e un rôle prédéfini, hérité et qui entend bien se reproduire. Sauf que…

Les femmes d’une famille heureuse… À condition que soient respectées les règles, toutes les règles. | Nour Films
Sauf que bien sûr, dans la grande ville du nord d’Israël (Haïfa), tout est reconfiguré par les fonctionnements spécifiques, marqués par le traditionalisme en vigueur chez des Palestiniens y compris urbanisés et travaillant dans des secteurs «modernes», par les manifestations insidieuses ou violentes de l’apartheid imposé par les juifs israéliens aux arabes israéliens, par l’omniprésence de l’embrigadement sioniste, y compris des tout petits enfants.
La réussite de Chroniques d’Haïfa, composé de plusieurs chapitres qui adoptent le point de vue de ses différents protagonistes, tient à sa manière de maintenir en tension ce qui relève d’un canevas «universel» et la mise en évidence de mécanismes et de comportements spécifiquement situés. Et elle tient à une sorte de tonus permanent, d’élan qui est à la fois celui des corps, celui des visages fréquemment filmés en gros plans et celui de la caméra très souvent en mouvement.
Celle-ci accompagne sur un mode qui semble souvent celui d’un reportage d’actualité des situations «romanesques», mobilisant sans cesse le questionnement quant à la manière dont ces grands ressorts narratifs et émotionnels s’inscrivent à la fois dans les conditions particulières de l’oppression des Palestiniens en Israël et entrent en contradiction avec elles.
Réalisé avant le début du génocide en cours depuis bientôt deux ans, la destruction à moindre visibilité de la Cisjordanie et l’aggravation démesurée des persécutions envers les Palestiniens qui habitent en Israël, Chroniques d’Haïfa a le mérite de contribuer, depuis une situation particulière que désigne le titre, à défaire la mécanique de la propagande qui cherche à faire croire que tout a commencé le 7 octobre 2023.
Datée et située, l’histoire à quelques personnages racontée par Scandar Copti contribue ainsi à contrer les myopies intéressées, à inscrire subjectivement la tragédie en cours dans le contexte d’une histoire longue de l’oppression et de l’injustice.
«L’Évangile de la révolution», de François-Xavier Drouet
Ce fut une épopée de bravoure et de terreur, à l’échelle d’un continent, dont on a d’autant plus perdu le souvenir qu’elle a été fort peu racontée. Ni ignorée ni oubliée, l’immense histoire déployée sous le nom général de théologie de la libération est loin d’occuper dans les imaginaires collectifs la place qui devrait lui revenir.
Inscrite dans des contextes particuliers, au-delà de ce qu’eurent de commun les mobilisations de chrétiens, au nom de leur foi, contre l’injustice extrême imposée à des centaines de millions d’humains par la toute-puissance états-unienne et les dictatures, au service des grandes fortunes locales, cette aventure politique et humaine reste encore largement à raconter.

Détail d’une fresque murale dans laquelle un paysan pauvre occupe la place du Christ. | L’Atelier documentaire
Et c’est ce à quoi contribue le film de François-Xavier Drouet, qui trouve l’énergie d’une narration inspirée en assemblant documents –photos, archives filmées, affiches, journaux– et témoignages, accompagnés du récit à la première personne du parcours du réalisateur sur les traces de ces événements et du destin de celles et ceux qui y ont participé. (…)