«Dahomey», les images et les statues rêvent aussi

La statue du roi Glélé lors de sa mise en caisse au Musée du Quai Branly.

Accompagnant les «trésors» restitués au Bénin par la France, le film de Mati Diop documente des faits, imagine et interroge les sens très actuels de cette opération.

Il y a, très tôt, cette image. Gantée, la main d’un homme blanc sur… Un corps noir? Une œuvre d’art? Une divinité d’un culte dont, spectateur européen, on ne sait rien? Le geste, qui pourrait sembler agressif à première vue, est attentif, et technique.

Factuellement, on sait très bien ce qu’on voit. En novembre 2021, un employé du musée du quai Branly met en caisse, avec tout le soin professionnel requis, un des vingt-six «trésors d’Abomey». Ces objets, volés par l’armée française coloniale à la fin du XIXe siècle, sont devenus l’un des joyaux de ce qui fut le musée de l’Homme, dont le nom comporte désormais aussi celui d’un président français.

Un autre président français a promis de restituer à un troisième président, de ce qui est désormais le Bénin, terre d’origine de l’artefact en question, un ensemble d’objets. Dont cette statue, non d’un président mais d’un grand roi de ce qui s’appelait alors le Dahomey.

On entend bien qu’il y a là de l’histoire, de la politique, de la diplomatie, de la mythologie. Le film a donné les informations nécessaires: le rappel du «discours de Ouagadougou» qui comportait la promesse de rendre certains des objets pillés (ce sera vingt-six, donc –il y en a près de 50.000 au seul musée Branly), et les réflexions et recommandations du rapport rédigé ensuite par l’écrivain et universitaire Felwine Sarr et la conservatrice et historienne de l’art Bénédicte Savoy.

Faire entendre d’autres voix

Mais Mati Diop, qui est une cinéaste, et une cinéaste avec une pensée politique, pas une journaliste, n’a pas laissé la parole aux présidents et aux responsables scientifiques. D’emblée, elle a fait entendre une voix plus puissante et plus mystérieuse.

Dans une langue qu’on ne reconnaît pas (sauf à en être soi-même locuteur) mais qu’on identifie comme «une langue africaine», le fon, cette voix parle pour le numéro 26 qui est en train d’être mis en caisse, et qui est la statue du roi Ghézo, qui fit du Dahomey une grande puissance au début du XIXe siècle.

On entend bien qu’elle est aussi une voix pour l’ensemble des trésors. Et pas seulement. Composite, cette voix caverneuse mais où se perçoivent des échos féminins et masculins parle pour un ou des peuples, pour une ou des histoires, pour une ou des mémoires, qui ont surtout été souffrance, mépris, occultation.

À cette voix, collective et mythologique, viendront ensuite s’ajouter d’autres paroles, celles d’une jeunesse béninoise invitée à réfléchir et à discuter ce qu’active, ce que révèle et ce que dissimule la restitution, comme idée et comme processus concret.

Salué d’un judicieux Ours d’or au festival de Berlin, Dahomey est le deuxième long-métrage de la cinéaste révélée grâce à un court fulgurant, Atlantiques (2009), à un moyen-métrage mémorable et passionnant, Mille Soleils (2013), et un premier long immédiatement salué comme œuvre majeure, Atlantique (2019). Dahomey sera un récit factuel et un conte, un pamphlet et un débat ouvert.

À l’université, débat animé entre étudiants sur les conditions de la restitution et son sens. | Les Films du Losange

Mati Diop fusionne d’emblée les puissances du documentaire et de la fiction. Elle leur adjoindra dans la dernière partie celles du «film-essai», avec l’organisation de ce forum entre étudiants sur les conditions et les implications du retour de ces objets dont le film a accompagné pas à pas le parcours. (…)

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