«Avec amour et acharnement», vivant vertige de l’intime

Sara (Juliette Binoche) et Jean (Vincent Lindon), couple heureux au défi d’un monde plus grand que lui.

Charnel et troublant, le film de Claire Denis capte la circulation des émotions d’une femme et un homme dont l’amour est traversé par les multiples signaux du monde, du passé, des zones d’ombre de chacune et chacun.

Regardez l’affiche. Il y a ces deux profils, une femme et un homme. Et ces deux mots, amour, acharnement. Par jeu, on pourrait se demander si elle, qui semble attentionnée, est l’amour, et si lui, qui paraît regarder au loin d’un air déterminé, est l’acharnement.

On pourrait reprendre la vieille formule «regarder ensemble dans la même direction», pour tout de suite percevoir que même en ce cas, ce n’est pas du même regard, ni pour voir la même chose. Ils ont l’air figés dans une posture, cette Sara et ce Jean, et de fait, lorsque le film commence, ils le sont. Dans la posture du bonheur, du couple heureux.

La séquence est magnifique de simplicité modeste, de frontalité assumée. Ce pourrait être une vidéo de vacances tournée au téléphone portable par un ami, ce pourrait être une publicité pour un séjour à la plage. C’est une publicité, limpide comme l’eau claire de la mer où ces deux-là s’étreignent.

Cela est posé bien en évidence. La beauté singulière du film qui vient sera de déployer combien il y a autre chose, beaucoup, beaucoup d’autres choses, entre elle et lui et tout autour, sans renier ce moment inaugural.

Le quinzième film de Claire Denis ne raconte pas la crise d’un couple. Il ne raconte pas non plus l’étendue du désir, du désir d’une femme au-delà d’un cadre que pourtant elle aime. En tout cas, il ne raconte pas seulement ça.

Il rend sensible, de manière intuitive et selon des approches qui ne cessent de se diversifier, l’épaisseur, la richesse, la pluralité parfois paradoxale, parfois contradictoire, souvent juste composite, de ce qui agite les humains, un par un et ensemble.

La scène d’ouverture au bord de la mer n’existe pas dans le roman de Christine Angot Un tournant de la vie dont le film est une adaptation –livre où le personnage masculin est par ailleurs bien moins développé que dans le film.

Cris et chuchotements

Cette séquence travaille pourtant tout le film, qui contrairement à la quasi-totalité des innombrables fictions du couple dont nous ont abreuvé la littérature et le cinéma, n’oppose pas les sentiments entre eux, n’oppose pas les comportements et les approches, mais laisse affleurer combien leur diversité fait… ben, vous savez, fait ce qu’on appelle la vie.

Avec amour et acharnement est un film palpitant de vie, dans les glissements, déplacements, recouvrements, cris et chuchotements, tentatives de contrôles et abandons choisis ou subis, autour de ces deux figures, sous l’effet de l’irruption d’un troisième, qui fut l’amant de Sara et l’ami de Jean.

Sara et François (Grégoire Colin) dans le clair-obscur de leur désir présent, et passé. | Ad Vitam

Lui, François, vient de leur passé. Celui qui l’interprète, Grégoire Colin, vient aussi du passé, des films précédents de Claire Denis, chez qui c’est sa huitième apparition. Le nouveau film se regarde très bien sans autre référence, mais il est aussi habité d’une mémoire longue. François, le motard fantomatique et roué, existe d’emblée aussi comme mémoire du Boni de Nénette et Boni, du Sentain de Beau Travail, du Noé de 35 Rhums.

Tout comme la présence de Juliette Binoche (après Un beau soleil intérieur et High Life) et celle de Vincent Lindon (après Vendredi soir et Les Salauds) mobilisent moins leur statut de têtes d’affiche du cinéma français que les traces subliminales que leurs précédentes présences chez la cinéaste ont laissées, même si les contextes fictionnels et les registres de jeu ne sont plus du tout les mêmes. (…)

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«Ana, mon amour» et mon désamour, avec toutes les ressources du cinéma

Le film du réalisateur roumain Calin Peter Netzer mobilise les puissances de la mise en scène pour explorer avec subtilité sur plus de dix ans les relations d’un couple. Dommage d’avoir chargé la barque du scénario plus que de raison.

Ana, mon amour est ce qu’il convient d’appeler un «geste de cinéma». Sur le thème pas tout à fait inédit de la vie en couple, le quatrième long métrage du réalisateur roumain Calin Peter Netzer ne cesse d’inventer des manières de filmer qui rendent sensibles, autrement, les courants contradictoires susceptibles d’unir et d’opposer l’un à l’autre deux humains, et ces deux-là au monde.

Les très gros plans, les ruptures dans le récit, les déplacements dans le temps, l’accueil du commentaire par chacun(e) à l’autre ou à un interlocuteur extérieur, les gestes et les silences aussi contribuent à cette riche partition d’images et de sons, de corps et de voix. Les actes, les sentiments, les rêves y contribuent selon un tissage complexe, éloquent, légitime.

Cet immense brassage qui réussit à prendre en charge la complexité du rapport amoureux sur une durée longue (une dizaine d’années) a été judicieusement salué d’un Ours d’argent à la meilleure contribution artistique pour le montage lors de la dernière Berlinale. Entendez ici «montage» au sens le plus élevé, comme assemblage dynamique de composants hétérogènes qui donnent à un film son élan et son unité. (…)

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