À voir en salles: «La Vénus d’argent», «Un hiver à Yanji», «Le Poireau perpétuel», «Journal d’Amérique»

Une image incongrue du réjouissant Poireau perpétuel, une des heureuses surprises de la semaine.

L’extrême singularité des films de Zoé Chantre et d’Arnaud des Pallières et la façon dont ceux d’Héléna Klotz et d’Anthony Chen échappent à ce qui semblait les définir déploient de multiples formes de liberté dans les manières d’exister du cinéma.

C’est curieux, la manière dont des films s’inventent une place là où nul ne les attendait ou, au contraire, gagnent à ne pas rester dans le programme auquel ils semblaient répondre. Ainsi de quatre titres qui arrivent sur les grands écrans cette semaine.

Celui de la Française Héléna Klotz et celui du Singapourien Anthony Chen gagnent, de séquence en séquence, contre ce qui semblait constituer leur ADN. Ceux de Zoe Chantre et d’Arnaud des Pallières inventent leur forme en se faisant, sans autre guide ni référence que ce qu’appellent les énergies et les expériences mobilisées par les images et les sons.

«La Vénus d’argent», de Héléna Klotz

Trajectoire et rupture. Action et douleur. Tout de suite, le film La Vénus d’argent montre les cartes de son jeu. Le plan d’ouverture a longuement accompagné la silhouette en scooter, sur les rocades désertes, la nuit, près du quartier d’affaires de La Défense, en banlieue parisienne.

Jeanne (Claire Pommet), prête au combat pour changer de monde. | Pyramide

C’est que Jeanne a un long chemin à faire. Mais ensuite, bang!, elle explose une vitrine, vole un costume, passe outre la vilaine blessure d’un éclat de verre qui entaille son corps, son sein, sa féminité.

Il lui faut parcourir le trajet douloureux qui la sortira de son milieu très modeste, pour conquérir une place parmi les guerriers de la haute finance internationale. Le visage si doux de la chanteuse Pomme, figurant au générique sous son vrai nom, Claire Pommet, et son corps qui se met en scène comme androgyne («neutre, comme les chiffres», dit-elle) sont les premiers éléments perturbateurs des typages associés aux milieux auxquels elle a affaire.

D’où elle vient: une famille aimante, un papa gendarme, un ex lui aussi militaire et très épris, tous conformes aux signes extérieurs du confort affectif, malgré le contraste avec leurs métiers violents. Où elle veut aller: auprès de deux figures du pouvoir financier aux apparences et aux mœurs non normées, chez qui le corps est un actif plus qu’un donné physique. Sur ce trajet, se dessinent d’intrigantes variations sous le signe de multiples relations barrées au corps, qui irriguent le motif convenu du roman d’apprentissage d’une Rastignac en blouson de cuir.

Mais c’est surtout la tension entre le projet de vie infect (devenir une tueuse au sein de la finance globalisée) et ce qui émane de la présence de l’actrice principale qui finit par créer quelque chose d’étrange, d’ambigu, au-delà des rebondissements d’un scénario qui aurait vite perdu tout intérêt sans la présence de Jeanne, et autour d’elle, ces corps et ces voix. Les interactions décalées entre les personnages ouvrent ces interstices troubles et redonnent une place au spectateur.

La Vénus d’argent de Héléna Klotz avec Claire Pommet, Sofiane Zermani, Anna Mouglalis, Nils Schneider, Grégoire Colin

Séances

Durée: 1h35 Sortie le 22 novembre 2023

«Un hiver à Yanji», d’Anthony Chen

Dans la ville gelée du nord de la Chine, près de la frontière avec la Corée du Nord, le jeune homme semble lui aussi figé dans une glaciation des rapports aux autres. Sa rencontre fortuite avec une jeune femme, à sa façon aussi à la dérive, puis avec l’ami de celle-ci, engendrent de manière peu probable un trio où circulent des affects qui hésitent à se préciser.

Xiao (Chu-xiao Qu), Nana (Zhou Dong-yu) et Hao-feng (Liu Hao-ran), au point de rencontre de trois solitudes. | Nour Films

On voit le scénario se développer, on a entendu la référence répétée au Jules et Jim de François Truffaut. Elle ne tient guère, glisse sur les surfaces dures et lisses ou fond dans les recoins surchauffés entre lesquels circule Un hiver à Yanji. Et la citation explicite de Bande à part de Jean-Luc Godard ne brise pas plus la glace d’une inscription dans les suites directes de la Nouvelle Vague.

Le charme, au sens magique du mot, du film chinois du réalisateur singapourien Anthony Chen, naît d’ailleurs. Moins que les péripéties d’un possible trio amoureux, sous le signe d’un trouble de l’identité redoublé par la présence de nombreux Coréens dans la ville chinoise, c’est la douceur ouverte de chaque séquence qui convainc et émeut.

Comme si l’incertitude des émotions et des lignes de conduite de ses personnages avait, pour le meilleur, contaminé la mise en scène du nouveau film de l’auteur de Ilo Ilo (2013), ouvrant des libertés et des zones d’instabilité dans la manière laisser exister un paysage (urbain ou en forêt), un geste, une phrase ou un silence.

Un hiver à Yanji en raconte moins que ce qu’il semblait parti pour narrer en réunissant ses protagonistes et en les installant dans cet environnement à plus d’un titre chargé de sens, ou de métaphores (l’hiver rigoureux, la frontière, les appartenances nationales et linguistiques clivées). Et de ce moins, naît peu à peu une belle et ample attention aux êtres et à ce qui circule entre eux, loin de tout symbolisme, comme de tout romanesque formaté.

Un hiver à Yanji d’Anthony Chen avec Zhou Dong-yu, Liu Hao-ran, Chu-xiao Qu

Séances

Durée: 1h40  Sortie le 22 novembre 2023

«Le Poireau perpétuel», de Zoé Chantre

Aussi improbable que son titre, ce film comme surgi de nulle part sidère d’emblée par sa liberté de ton et de forme, son humour pour évoquer des sujets douloureux, dont les maladies graves qui affectent la réalisatrice-narratrice et sa mère, entre lesquelles se jouera l’essentiel du récit. (…)

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