«Piccolo Corpo» fait des miracles

Agata (Celeste Cescutti) toute entière tendue vers son but.

Le premier film de Laura Samani conte l’odyssée fantastique d’une jeune paysanne et se révèle être une splendide aventure du regard et des émotions.

Ce sont deux inconnues. Deux jeunes femmes habitées d’une force intérieure impressionnante. Ce qu’est cette force restera innomé pour la première, Agata, paysanne du Frioul au début du XXe siècle, mais est très clair pour la seconde, Laura Samani, cinéaste italienne d’aujourd’hui. Cette force s’appelle le cinéma.

Le film s’ouvre par un cérémonial étrange, accompagnant Agata, qui s’apprête à accoucher, entourée d’autres femmes. Sur une plage hivernale, des femmes de pêcheurs misérables pratiquent un rituel mi-chrétien mi-païen. L’accouchement se passe mal, le bébé est mort. Pire, pour toutes et d’abord pour la jeune maman, il est mort sans avoir pu recevoir les sacrements: son âme est condamnée à errer éternellement dans les limbes.

Contre l’avis de son mari et du prêtre, les deux seules autorités alentours, Agata refuse. Un mot lâché par une des femmes, une bribe d’information livrée par un rebouteux, la convainquent que là-bas, loin dans les montagnes, se trouve un lieu qui sauve. Un monastère où s’accomplit le miracle d’un bref retour à la vie, le temps d’offrir à sa fille morte-née le passeport pour l’autre monde. Piccolo corpo est le récit de cette quête.

Deux fois un acte de foi, donc. Double aventure semée d’embûches, tant la possibilité de réaliser un film passionnant, impressionnant de beauté et emportant une totale adhésion, paraît aussi improbable que la capacité de son héroïne à accomplir son trajet et obtenir ce qu’elle cherche.

Le premier rituel, tourné vers un avenir à inventer, à conquérir. | Arizona Distribution

On ne dira pas ici ce qu’il advient in fine d’Agata et de son bébé, mais nulle raison de dissimuler qu’en tout cas, la quête de la réalisatrice, qui signe son premier long métrage, est une éclatante réussite.

L’amour et la croyance

Et si l’amour et la croyance sont les énergies qui portent la jeune femme en route par les chemins dangereux, les puits de mine obscurs, les frimas et les menaces qui la cernent, ce sont les mêmes puissances qui guident la composition de chaque plan, le rythme des séquences, l’usage des lumières et des sons.

Amour des visages regardés avec une sorte d’affection à la fois étonnée et confiante pour ses acteurs non professionnels, amour de sa langue, le frioulan et, au-delà de ce seul idiome, des multiples formes d’expression inscrites dans des histoires collectives, amour des paysages et des objets.

Croyance dans la capacité des ressources du cinéma de rendre simultanément crédible et magique ce récit d’un autre temps, d’un autre monde.

La violence des hommes, en particulier contre une jeune femme seule, la noirceur de la misère, l’âpreté des conditions de vie dans cette région italienne aux confins des Balkans multiplie les crises qui jalonnent le chemin d’Agata.

La traversée, à la fois très physique et habitée par un sens obscur, d’un monde hostile et magnifique. | Arizona Distribution

Mais la crise, le trouble, sont bien plus amples et profonds encore. Ils se trouvent dans l’alliage indéfaisable de la folie du projet qui motive cette odyssée, et de la sincérité absolue de celle qui s’y est lancée. (…)

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