Karim D. (Rabah Naït Oufella) acculé à la solitude par son «double maléfique» – ou par l’esprit du temps.
Aux côtés d’un Rastignac des banlieues, Laurent Cantet s’inspire d’une affaire médiatique récente pour explorer les multiples réseaux d’appartenance et les miroirs contradictoires qui configurent et défigurent l’époque.
l semble d’abord que le nouveau film de Laurent Cantet suive une trajectoire classique, ascension et chute, Capitole et roche tarpéienne, etc.
Quand le jeune écrivain Karim D. venu d’une cité de Bagnolet conquiert gloire, admiration des milieux culturels et perspectives financières prometteuses, soudain ressurgissent les tweets trash, racistes et jouant sur tous les ressorts de la provocation qu’il a précédemment publiés en masse sous le pseudo qui donne son titre au film.
Le scénario s’inspire clairement de l’affaire Mehdi Meklat, ce journaliste et écrivain dont on avait découvert en 2017 les messages racistes, misogynes, antisémites et homophobes postés sous pseudonyme sur Twitter, avant sa reconnaissance médiatique.
Mais il ne s’agit ni d’une reconstitution, ni de l’utilisation de ce cas pour une fable sur les effets des réseaux sociaux et l’état de nos sociétés sous influence des technologies de l’immédiat.
Bien que ces enjeux soient évidemment présents, Arthur Rambo n’est pas une fable, précisément parce que le film ne suit pas un tracé linéaire. La réussite du huitième long-métrage de Laurent Cantet tient à sa façon de ne pas jouer sur une évolution, mais sur une manière pour Karim de s’enfoncer dans la profondeur des multiples milieux dont il relève.
Un monde multicouche
Subitement confronté à ce personnage virtuel (mais ô combien réel) qu’il s’était inventé sur les réseaux sociaux, le jeune écrivain à succès bataille à la fois contre le double qu’il avait créé, fasciné par le miroir aux alouettes de la hype, et devenu maléfique, et contre ceux qui le condamnent d’emblée.
Scène après scène, il affronte la multiplicité des personnages qu’il a été ou voulu être, ou de la manière dont d’autres l’ont perçu. Il fait face à la puanteur des phrases immondes qu’il a publiées, à l’époque avec un mélange d’excitation jubilatoire et de sens de la dérision et d’un deuxième degré bien pratique pour autoriser les pires dérives, et qui s’avère indéfendable a posteriori.
Il zigzague entre sa honte et sa fierté, l’autoflagellation et la revendication de sa colère, l’accusation de l’injustice sociale et celle des mécanismes qui valorisent le recours à ces surenchères, y compris chez lui et ses meilleurs amis. Il expérimente combien les chemins pour exister du mauvais côté du périphérique sont plus souvent des impasses, ou des pièges.
Célébration joyeuse du «jeune écrivain prometteur issu des quartiers défavorisés». | Memento
Arthur Rambo est un film qui ne cesse de gagner en épaisseur, multipliant les strates –sociologiques, affectives, architecturales, urbaines, vestimentaires, langagières…– où évolue son personnage.
Il trouve ainsi une forme en cohérence avec l’univers dans lequel il se situe, ce monde «multicouche», que les anciens modes de pensée et les myopies plus ou moins intéressées ou paresseuses s’obstinent à réaplatir en schémas de causes et d’effets, de cohérence prédéfinie, de réponses binaires.
Qu’Arthur soit un salaud condamne-t-il Karim? Et qui sont ceux qui énoncent le verdict? (…)