En salles: «L’Empire du silence», «Entre les vagues», «Medusa», «Notre-Dame brûle», «Les Oliviers de la justice»

Une image de L’Empire du silence de Thierry Michel.

Dans la déferlante qui semaine après semaine s’abat sur les grands écrans, cinq sorties ce 16 mars, cinq films aussi différents que possible mais qui, chacun à sa façon, témoigne des ressources du cinéma, au cinéma.

L’Empire du silence de Thierry Michel

Voilà trente ans que Thierry Michel filme sans relâche ce pays grand comme quatre fois la France qui s’appelle aujourd’hui, par une sinistre antiphrase, République démocratique du Congo, après s’être longtemps nommé Zaïre.

Trente ans que le cinéaste documente les beautés mais surtout les abîmes de cet immense territoire, théâtre de violences et d’injustices infinies depuis… depuis les trois quarts de siècle de terreur coloniale belge, depuis l’assassinat du leader de l’indépendance Patrice Lumumba organisé par la CIA et l’ancienne puissance coloniale en 1961, depuis la dictature de Mobutu, la guerre civile au Katanga, et encore tant d’autres étapes atroces.

Le film cette fois repart d’une autre tragédie, qui a eu lieu dans un pays voisin: le génocide contre les Tutsis au Rwanda, en 1994. Il a eu comme effets au Congo, jusqu’à aujourd’hui, une succession de guerres, destructions, massacres, dans une spirale délirante où les immenses richesses –notamment minières– du pays tendent à intensifier la folie meurtrière.

Avec clarté et émotion, le cinéaste belge retrace les différentes étapes de ce processus infernal, l’inscrit dans des lieux, l’associe à des présences humaines, au premier rang desquelles le docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix, auquel Thierry Michel a consacré le si bouleversant L’homme qui répare les femmes.

L’Empire du silence est un titre apparemment paradoxal pour ce film de malheur et de fureur, il signifie ce fait tout simple: le Congo, tout le monde s’en fout.

L’immensité des crimes qu’y commettent sur place les dirigeants congolais, les dirigeants des pays voisins, des milices et des gangs équipés d’armes lourdes par différents pouvoirs, tout cela pour continuer d’accroître les profits des grandes entreprises des pays riches –les nôtres–, ne suscite qu’une indifférence massive de la fameuse «opinion publique internationale», parfois émaillée d’une attention très ponctuelle lorsque, exemplairement, la voix de Mukwege a réussi à se faire entendre.

Il est d’une ironie tragique que ce film, bouleversant et nécessaire, somme du travail de plusieurs vies, dont celle de son auteur, soit en situation de trouver une autre illustration de son titre: sa sortie au moment où la guerre contre l’Ukraine mobilise toute l’attention pour d’autres violences et injustices hors de nos frontières. Un clou de plus dans le cercueil de silence.

Entre les vagues d’Anaïs Volpé

Alma (Déborah Lukumuena) et Margot (Souheila Yacoub), en plein élan vers leur avenir. | KMBO

Le deuxième long-métrage d’Anaïs Volpé s’élance sous deux signes affichés avec beaucoup d’aplomb, celui d’une débauche d’énergie et celui d’une amitié entre deux jeunes femmes.

Margot et Alma veulent à tout prix vivre (de) leur passion pour le théâtre. L’intensité de leur engagement, de l’affection qui les lie, de leur idée de l’existence à fond la caisse illumine le début du film en une suite de séquences tournées caméra à la main, à fleur de peaux et de gestes.

Aussi convaincantes soient les interprètes –et elles le sont–, le risque de cette approche est qu’elle devienne une fin en soi, répétitive et bientôt épuisante et vaine. Mais vient le moment où le film connaît une embardée majeure, qui modifie les registres et les tempos, tout en conservant le haut voltage accumulé au début.

Parcouru de longs frissons rieurs ou émouvants, Entre les vagues réussit à rayonner sur plusieurs longueurs d’onde à la fois. Grâce, entre autres, à sa façon d’exister dans différents espaces, les rues de Paris, les milieux de vie des deux protagonistes, la scène de théâtre, un New York mi-réaliste mi-imaginaire…

Grâce également à Déborah Lukumuena, qui juste après Robuste, confirme l’étendue de son registre, et à la très impressionnante Souheila Yacoub, les deux jeunes actrices portant littéralement Entre les vagues de bout en bout. Le film d’Anaïs Volpé tient ainsi le pari, à la fois modeste et difficile, de renouveler sans cesse ce qu’il partage avec ses spectateurs tout en se restant fidèle.

Medusa d’Anita Rocha da Silveira

Mariana (Mari Oliveira) perturbe et magnétise les codes du film de genre. | Wayna Pitch

Lui aussi deuxième long-métrage d’une jeune réalisatrice, lui aussi centré sur des personnages féminins, Medusa est également remarquable pour sa manière d’échapper à ce qui semblait devoir le définir, et le limiter. Soit une sorte de conte horrifique, inspiré des très réelles horreurs prêchées et perpétrées par les évangéliques d’extrême droite au Brésil.

Dans l’orbite d’un prédicateur militant et fascisant, un groupe de jeunes filles de bonne famille se partagent entre activité de choristes à la gloire d’un Dieu oppresseur et ultra-réactionnaire, préparation à leur juste rôle de femmes au foyer et activités de vigiles violentes qui, masquées, tabassent dans les rues les «filles de mauvaise vie».

Surjouant du kitsch qui est souvent à la fois celui des mises en scène des ultras et celui d’un cinéma de genre horrifique qui entretient avec ces idéologies bien des affinités, Anita Rocha da Silveira semble parfois, comme il arrive trop souvent, miser sur deux tableaux, dénonçant des excès tout en capitalisant dessus en termes de spectacle.

Mais grâce à un déplacement de cadre et de tonalité, grâce aussi à l’excellente actrice principale Mari Oliveira, au jeu beaucoup plus nuancé, Medusa échappe à sa propre pétrification.

En trouvant comment circuler entre plusieurs tonalités, il libère une énergie poétique, laquelle, sans rien perdre de la charge contre l’embrigadement des corps et des esprits qui trouve tant d’adeptes dans le Brésil de Bolsonaro, invente sa propre dynamique, à la fois plastique et émotionnelle.

Notre-Dame brûle de Jean-Jacques Annaud

Une des nombreuses scènes spectaculaires du combat contre l’incendie. | Pathé Distribution

L’incendie du 15 avril 2019 est non seulement un événement extrêmement spectaculaire ayant affecté un des lieux les plus célèbres du monde, mais le résultat d’un enchaînement de circonstances en forme de scénario catastrophe, par une improbable accumulation d’erreurs souvent a priori vénielles, de petits blocages, de hasards.

Dès lors, pratiquement tout ce qui rendait possible un film extrêmement impressionnant était déjà là, à condition d’y mettre les moyens techniques et financiers. Pour cela, on pouvait compter sur Jean-Jacques Annaud et Nicolas Seydoux, le patron de Pathé.

Même si des images tournées sur place ont été utilisées, il s’agit évidemment d’une reconstitution, qui vise à suivre aussi précisément que possible l’enchaînement chronologique des faits, dans leur rapidité comme dans les fatals retards qu’il a connus. (…)

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