Sandra (Léa Seydoux) et son père (Pascal Greggory).
Le film de Mia Hansen-Løve accompagne le double bouleversement qui advient à une jeune femme, et qui fait s’épanouir un vaste bouquet d’émotions.
Ce serait un film habité d’un ensemble de questions. Attention, pas d’une suite de questions, d’un ensemble. Elles sont là au même moment même si elles n’appartiennent pas au même domaine.
Et ces questions, il ne s’agira pas tant, pour le film, de les résoudre –même si les personnages s’y essaient– que de les garder vives, actives, se relançant l’une l’autre sans qu’aucune ne soit abandonnée, marginalisée, méprisée.
Très explicitement, Un beau matin raconte un double mouvement qui traverse son personnage central, Sandra, la jeune femme qu’interprète Léa Seydoux. Léa Seydoux qu’il est juste de saluer sans attendre, non seulement parce que la délicatesse de son jeu est au-delà de tout éloge, comme toujours, mais parce qu’elle parvient à se réinventer de film en film, et ici de manière particulièrement heureuse.
Dans la durée du film, Sandra affronte la maladie destructrice de son père, dont elle est très proche, et vit une rencontre amoureuse qui la comble. Ce double bouleversement marqué de signes opposés est bien le ressort central d’Un beau matin.
Mais la justesse singulière du huitième long métrage de Mia Hansen-Løve tient à sa façon de ne jamais se contenter de ces deux forces contradictoires, mais d’en faire comme les points cardinaux de multiples circulations concrètes, qu’initient les questions qui l’animent.
Des livres, un corps de femme, les WC, une petite fille, maman, un appareil scientifique…
Par exemple: qu’est-ce qu’on fait de tous ces bouquins? Lorsque le père, atteint du syndrome de Benson, ne peut plus habiter seul et qu’il faut l’installer dans un lieu d’accueil, la question triviale du déménagement des affaires de ce professeur à la vie bien remplie, et du sort à leur réserver, surgit forcément.
Pas du tout anecdotique, elle se déploie illico en enjeux de mémoire, de respect des personnes et des choses, en considération pour les activités de pensée et pour les beautés de l’écrit, en sens à donner aux traces et aux signes, pour lui quel que soit son état mental, et pour ses proches. Et de tout cela, il est aussi possible, peut-être même nécessaire, de rire.
Autour de Sandra et de sa fille (Camille Leban Martins), les deux pôles qui bouleversent simultanément la vie de la jeune femme, son amoureux (Melvil Poupaud) et son père. | Les Films du Losange
Autre question, posée par le personnage de Melvil Poupaud, Clément, à Sandra qu’il vient de retrouver et avec qui s’ébauche une idylle: comment un corps comme le tien a pu rester endormi si longtemps?
Formule de séduction et de tendresse, certes, mais aussi ouverture sur une durée, un passé, irruption d’une tension érotique, interrogation sur ce qui enferme une personne dans un renoncement.
Dans le paysage que dessinent la conjonction de ces questions, celle-là aussi, qui dans sa brutalité condense beaucoup, y compris des peurs anciennes, des complicités profondes mais circonscrites, des tabous: comment on accompagne papa aux toilettes?
Où va la musique?
L’exceptionnelle finesse de l’interprétation du père par Pascal Greggory fait frémir de vie, sur tout l’arc de la douceur à la violence, ce qui s’active autour de lui, littéralement au corps défendant de son personnage, et dans les méandres de son esprit qui inexorablement s’obscurcit. (…)