Nathalie Boutefeu, qui donne vie à Sophie Tolstoï grâce aux écrits devenus voix.
Le film de Frederick Wiseman, avec Nathalie Boutefeu, fait s’épanouir en pleine nature la parole de Sophie Tolstoï, la femme d’un grand homme qui jamais n’accepta d’être réduite à ce statut.
Ce serait comme une genèse. Il y aurait d’abord eu le ciel et les nuages, la mer et les rochers, les arbres et les fleurs, des animaux. Et puis cette femme, dans ses vêtements d’un autre temps et d’un autre lieu. Ensuite, la voix. Sa voix.
Dans la lumière d’une lande sublime, mais il faut se défier du sublime, dans les beautés à demi-sauvages d’un vaste jardin, dans la pénombre d’une pièce éclairée à la bougie, elle parle. Sa voix n’est ni d’un autre temps, ni d’un autre lieu.
Elle dit sa vie, ses émotions, des combats singuliers –à tous les sens de la formule. Elle est unique, Sophie, elle vit une histoire unique, épouse d’un «grand homme», un géant de son temps –aussi physiquement–, Léon Tolstoï. Elle est en guerre, et en amour, et en question.
Mais toute femme est unique, bien sûr, cela va –devrait aller– de soi. Sauf que justement, entre cette singularité de toutes (et de tous) et la singularité de cette Sophie-là, avec son caractère, sa biographie, ses espoirs, sa violence, ses œuvres, se joue tout ce qui vibre et palpite et fait trouble dans ce film aussi bref qu’intense, aussi tendu qu’apparemment délicat et minimal.
Ensemble, côté à côte dans le choix des textes de Sophie Tolstoï, puis de chaque côté de la caméra, le réalisateur Frederick Wiseman et l’actrice Nathalie Boutefeu ouvrent grand cet espace que désigne cet indéfini, un couple comme les spécificités de qui fut l’auteur de Guerre et Paix, de qui fut celle qui resta trente-six ans son épouse, passionnément son épouse, sans admettre de n’être que cela –et la mère de leurs treize enfants.
Elle, et les grandes histoires
Elle parle, elle écrit, elle s’adresse frontalement. Sa voix sera la seule audible. À travers elle résonne une immense saga intime, et qui pourtant appartient aussi à la «grande histoire», comme on dit. Et même à plusieurs grandes histoires: histoire de la littérature, histoire de la Russie et de l’Europe au XIXe siècle, et aussi, surtout, histoire des relations entre les hommes et les femmes. (…)