«Yamabuki» et «The Wastetown», la fleur et l’eau-forte

Bermani (Baran Kosari), l’héroïne de The Wastetown, prête à utiliser d’autres armes que sa volonté farouche.

Avec des choix stylistiques diamétralement opposés, la vibrante chronique douce-amère de Juichiro Yamasaki et la sombre fable fantastique d’Ahmad Bahrami sont deux belles propositions de cinéma.

Sans nom d’auteur repéré sur les cartes de la cinéphilie, sans acteur connu ni «grand sujet», un film japonais et un film iranien surgissant sur les écrans français un 2 août semblent promis à une bien piètre visibilité. Ce serait très regrettable, tant Yamabuki et The Wastetown, par des moyens complètement différents, déploient de richesse narrative, émotionnelle, suggestive, en mobilisant de multiples ressources cinématographiques.

Chacun des deux films acte de manière évidente l’apparition d’un cinéaste au sens le plus élevé du mot. Et il est beau qu’ils soient à ce point différents l’un de l’autre. Outre la curiosité d’amateurs à l’esprit aventureux, il reste à espérer que la météo, canicule ou mauvais temps, enverra des spectateurs profiter de l’accueil d’une salle où s’ouvrent la carrière de pierre nippone et la casse automobile persane. Ils s’en trouveront bien, au-delà de toute motivation liée à la température ou aux intempéries.

«Yamabuki», de Juichiro Yamasaki

Il faudra un peu de temps pour comprendre que le titre du film de Juichiro Yamasaki désigne à la fois une fleur jaune qui pousse «dans les coins ombragés, à l’écart des regards» (la corète du Japon en français) et une lycéenne qui s’avérera être l’une des principales protagonistes d’un récit à plusieurs dimensions.

Son père, commissaire de police de la petite ville où se déroule toute l’histoire, jouera sans le vouloir un rôle central dans l’existence d’un autre personnage, Chang-su, apparu dès le début.

Une adolescente au prénom de fleur (Kirara Inori), à la recherche de sa place dans le monde. | Survivance

Là aussi, il faudra un moment pour comprendre qu’il s’agit d’un immigré coréen au Japon, pour réaliser la situation de cet ancien champion d’équitation devenu conducteur de chantier dans une carrière de pierre. Ces délais, ces suspenses qui entrebâillent des possibles, font partie de la dynamique de Yamabuki.

La beauté tout en douceur, très corète-style, du film, se construit ainsi par des développements de fragments de vie, interactions paisibles ou surgissements brutaux, mais inscrits dans le tissu des jours, des existences, des espoirs, des inclinations.

Des gangsters à la manque tenteront de s’enfuir avec un magot, une petite fille apprendra à faire du cheval, un père en remplacera un autre, des manifestations silencieuses contre la guerre mèneront à une délicate promenade au bord du fleuve, un bus sera l’éventuel mais peu probable lieu d’une rencontre amoureuse.

Une prostituée chinoise décryptera les rapports de force qui guident ce monde dans lequel une mère réelle et rêvée est partie au loin accomplir un devoir transgressif. La violence, l’injustice, l’incompréhension et la peur existent à plusieurs échelles, ici et partout. Il importe de ne pas les ignorer, ni de leur donner tout pouvoir –y compris tout pouvoir de faire fiction.

Découvert au Festival de Cannes dans le cadre de la sélection de l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (ACID) en 2022, le film circule ainsi entre des figures à la fois attachantes et imparfaites. Il laisse place à des rebondissements parfois tragiques, parfois comiques, parfois comico-tragiques, mais entre lesquels il reste, pour chaque spectateur, des espaces à habiter, des agencements possibles à opérer.

Il y a quelque chose d’admirable, et finalement de très joyeux, même si la plupart des événements que conte le film ne sont pas spécialement réjouissants, dans la manière dont, pour son troisième long-métrage, le réalisateur Juichiro Yamasaki croit absolument en tout ce qui se déploie dans chacun de ses plans.

Chang-su (Kang Yoon-soo) prend soin de celle qui n’est pas sa fille sous le regard de celle qui n’est pas sa femme –du moins officiellement. | Survivance

Il faut une grande foi dans le cinéma, et aussi dans la possible qualité des rapports humains, pour regarder et écouter, donner à regarder et à écouter, ce dîner en famille de Chang-su avec celle qui n’est pas sa femme et celle qui n’est pas sa fille. Ou pour filmer sans se moquer l’amoureux transi de Yamabuki, ou pour laisser une chance à une rencontre entre des hommes (Chang-su et le champion japonais, Chang-su et le commissaire, Chang-su et le père de la petite) que tout destinait à s’opposer.

Que le film porte un nom de fleur prend tout son sens à mesure qu’il laisse grandir ses scènes comme des feuilles et des corolles, distinctes et reliées, avec une évidence vitale qui est la traduction, ultra-modeste et ultra-ambitieuse, d’un art de la mise en scène.

Yamabuki de Juichiro Yamasaki avec Kirara Inori, Kang Yoon-soo, Yohta Kawase, Misa Wada

Séances

Durée: 1h37

Sortie le 2 août 2023

«The Wastetown», d’Ahmad Bahrami

Le registre du deuxième film du réalisateur iranien Ahmad Bahrami est fort différent. Le noir et blanc et le cadre resserré suggèrent des gravures à l’eau-forte, le dessin des personnages comme la radicalité de leur actes inscriront en puissance la dureté des rapports humains qu’il évoque.

Bermani prête à tout pour obtenir ce qu’elle veut, face aux hommes qui veulent la dominer, dont le patron de la casse (Babak Karimi). | Bodega

On l’a vue arriver de loin, cette femme seule et qui marche dans un désert sinistre et glacé d’un pas déterminé. Rien ne l’arrêtera, ni les grillages qui entourent l’immense casse auto, ni le gardien à l’entrée, ni la violence des hommes, ni la dureté des matières. (…)

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