DVD: coffrets au trésor du cinéma d’auteur

Loin d’avoir disparu, l’édition DVD propose des offres éditoriales soignées, qui permettent aux amoureux du cinéma des approches renouvelées de grands réalisateurs et réalisatrices.

«Le DVD, c’est fini.» Répétée à l’envi, cette phrase est tout simplement fausse. En 2023, comme l’indique le bilan annuel du CNC, près de 30 millions de DVD et Blu-ray ont été vendus en France –on confondra ci-dessous les deux supports, qu’ils soient séparés ou réunis en combo.

S’il est évident que le support numérique physique n’est plus un mode de diffusion dominant, il conserve un nombre important d’usagers passionnés et exigeants, auxquels est destiné un travail éditorial de grande qualité. Cette année 2024 a notamment vu l’arrivée de coffrets remarquables, pour l’importance des œuvres ainsi assemblées, de leur auteur ou autrice, mais aussi de la valeur des documents qui les accompagnent, en vidéo et sous forme imprimée.Ces coffrets sont construits autour de cette figure toujours à réfléchir et à discuter, mais certainement pas à bazarder comme des tentations plus ou moins grimées mais sous influence directe du marché ne cessent d’y inciter: la figure de l’auteur, et de l’autrice. Chantal Akerman, Jean Eustache, Otar Iosseliani, Ghassan Salhab, Nicolas Philibert, Jacques Rozier, Wong Kar-wai, pour citer celle et ceux ici évoqués, n’ont pas seulement réalisé de nombreux films passionnants.

Chacune et chacun a construit au long cours un travail qu’éclaire la possibilité de les réunir ainsi, de manière plus stable et pérenne que les –fort utiles– rétrospectives en salles ou que sur les chaines et les plateformes cinéphiles. Les documents imprimés qui les accompagnent et les bonus contribuent aussi à mieux percevoir et mieux comprendre leur histoire, leurs singularités, leur importance dans des contextes plus vastes.

Et, bien sûr, pour tout amateur de cinéma exigeant, ce sont aussi de magnifiques possibles cadeaux, il est donc grand temps de les évoquer. Tout comme une poignée de DVD «unitaires», qui permettent de retrouver, ou de rattraper, certains des plus beaux nouveaux films sortis en salles au cours des derniers deux ans, souvent pour une présence trop brève sur les grands écrans.

Coffret Jean Eustache, éditions Carlotta

Figure essentielle du cinéma français des années 1970, Jean Eustache aura longtemps été le «loup blanc», aussi connu qu’invisible, de l’offre de films hors salles –et encore, là aussi de manière parcimonieuse. Au sein d’une œuvre décisive bien que relativement brève (deux longs-métrages de fiction, une douzaine de titres au total), son film à juste titre le plus célèbre, La Maman et la putain (1973), sa liberté incarnée, son impertinence, son désespoir lucide, est aujourd’hui une référence majeure non seulement de l’histoire du cinéma –pas uniquement du cinéma français–, mais aussi un marqueur sensible de ce qui s’est joué pour une ou deux générations dans la seconde moitié du XXe siècle.

Le coffret de six Blu-ray donne aussi accès à des merveilles très différentes entre elles, dont le formidable et minimal Numéro zéro (1971), le binôme à jamais troublant qui compose Une sale histoire (1977), ou les extraordinaires trois derniers courts-métrages. Les suppléments comportent de nombreux inédits ou éléments devenus invisibles depuis longtemps, tandis que, bien plus que le classique «livret», le petit livre présenté par Sonia Buchman réunit les textes du cinéaste, des projets de films, des entretiens et certains des meilleurs textes critiques publiés à propos du cinéma d’Eustache.

Coffret Jean Eustache
Carlotta
Sept DVD ou six Blu-ray et un livret de 160 pages
80 euros
Sorti le 16 avril 2024

«En psychiatrie» de Nicolas Philibert, éditions Blaq Out

Au cours des deux dernières années sont sortis en salles trois films remarquables, Sur L’Adamant, Averroès et Rosa Parks et La Machine à écrire et autres sources de tracas, aussi passionnants un par un que comme l’ensemble qu’ils constituent. Cet ensemble s’inscrit lui-même dans un travail au long cours mené par Nicolas Philibert avec les moyens du cinéma, un travail commencé un quart de siècle plus tôt avec La Moindre des choses.

Tourné dans la clinique de La Borde, haut lieu de la pratique et de la pensée ouvertes dans le domaine psychiatrique, le film explorait à la fois les manières de faire qu’y avait déployé le professeur Jean Oury et celles et ceux qui l’entouraient, et des possibilités inédites de filmer, avec l’ensemble des personnes concernées, manières de filmer riches de sens y compris pour des films dans tout autres contextes.

C’est ce qu’aide à comprendre aussi le livret de documents qui accompagne les DVD, lesquels comportent également plusieurs précieux courts ou moyens-métrages, dont L’Invisible, entretien exceptionnel avec Oury, mais également l’entretien récent avec la psychologue et psychanalyste Linda De Zitter. Ou encore le film que Jean-Louis Comolli avait consacré à son confrère, Nicolas Philibert, hasard et nécessité.

En psychiatrie
Nicolas Philibert
Blaq Out
Cinq DVD et un livret de 144 pages
39,99 euros
Sorti le 3 décembre 2024

Coffret Ghassan Salhab, éditions Shellac

Le moment de parution de ce coffret fait étrangement écho à l’univers du cinéaste de Beyrouth Fantôme (1998), quand les multiples figures hantées par les guerres et les tragédies qui peuplent son cinéma apparaissent alors qu’à nouveau massacres, destructions et opérations d’invisibilisation viennent de faire rage dans son pays, le Liban, lors de la énième guerre d’agression israélienne.

Les cinq DVD réunissent ce qui est présenté comme six longs-métrages et trois essais. En effet, les relations à la fiction et la manière de réfléchir et de raconter avec le cinéma changent entre Terra incognita (2002) et Une Rose ouverte/Warda (2019), en passant par le film de vampire Le dernier Homme (2006) ou le thriller La Vallée (2015).

Pourtant, c’est bien toujours le même sens poétique des puissances du cinéma pour avoir affaire à des tragédies politiques collectives de manière incarnée qui donne souffle à ces réalisations, dont chacune est une conquête sur tant d’obstacles. Réunir ainsi l’ensemble du travail accompli en un quart de siècle, au cœur même d’une actualité à la fois tragique et en partie insaisissable, est davantage que la possibilité d’accéder à des films magnifiques et singuliers. C’est rendre mieux perceptible les continuités, la continuité historique d’une situation et la continuité de pensée et de style d’un cinéaste, et la façon dont elles s’éclairent réciproquement.

Coffret Ghassan Salhab
Shellac
Cinq DVD
39,90 euros
Sorti le 3 décembre 2024

Coffret Chantal Akerman, éditions Capricci

Point d’orgue de cette année qui a vu se multiplier les manifestations autour de l’œuvre majeure léguée par Chantal Akerman, le monumental travail éditorial accompli avec ce coffret offre la possibilité de disposer des quarante-six réalisations, pour le cinéma et la télévision, de la cinéaste de Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles, ce chef-d’œuvre de 3h20 qu’elle a tourné à l’âge de 25 ans et qui a récemment été élu «meilleur film de tous les temps» –ce qui ne veut rien dire mais fait plaisir.

L’ensemble comprend en outre un très riche ensemble de documents audiovisuels concernant de multiples façons la réalisatrice belge. Également disponible en quatre coffrets, un par décennie des années 1970 aux années 2000, cette véritable malle aux trésors recèle, à côté des grands films (de Je, tu, il, elle à No Home Movie) et de courts-métrages tout aussi essentiels, des formes hybrides qui participent des incessantes explorations menées par l’autrice, de Saute ma ville (1968) à Tombée de nuit sur Shanghai (2009).

Cet ensemble vient ainsi compléter la rétrospective en salles de l’automne dernier, l’exposition magnifique qui s’était tenue au Musée du Jeu de paume, et un considérable travail d’édition imprimée, dont la réunion de L’Œuvre écrite et parlée de Chantal Akerman mise en forme par Cyril Béghin chez L’Arachnéen.

Coffret Chantal Akerman
Capricci
Quatorze Blu-ray, un livret et une affiche
149,90 euros pour le coffret complet ou 49,90 euros pour chacun des quatre coffrets décennaux
Sorti le 25 septembre 2024

Coffret Jacques Rozier, éditions Potemkine/MK2

Lorsqu’en décembre 1962, les Cahiers du cinéma tirent le premier bilan de la Nouvelle Vague qui vient de balayer le cinéma français et mondial, le film qui figure en couverture est le premier long métrage de Jacques Rozier, Adieu Philippine. Cette place très légitime distingue un cinéaste qui, dès l’école buissonnière du court métrage Rentrée des classes (1958) et jusqu’à Fifi Martingale en 2001, mais surtout grâce, après Philippine, aux ovni joyeux et infiniment inventifs que sont Du côté d’Orouët, Les Naufragés de l’île de la Tortue et le génial Maine Océan, n’aura cessé d’inventer comment faire du cinéma au plus proche des personnes, des lieux, des lumières, des émotions.(…)

LIRE LA SUITE

 

 

2 réflexions au sujet de « DVD: coffrets au trésor du cinéma d’auteur »

  1. cher Jean Michel Frodon

    François Barat

    je voudrais vous faire parvenir mon livre qui vient de sortir , dites moi comment faire. En vous remerciant pour toutes ces chroniques

    J’aime

Laisser un commentaire