«Put Your Soul on Your Hand and Walk», du miracle au crime, et après

Sur le fond d’écran du téléphone de Sepideh Farsi, la photographe gazaouie Fatma Hassona (en haut) et la réalisatrice iranienne en pleine conversation.

Au-delà de l’émotion suscitée par la mort de son héroïne palestinienne, tuée par l’armée israélienne en avril, la sortie du film de Sepideh Farsi permet la découverte d’une œuvre singulière et nécessaire.

L’assassinat de la jeune photographe palestinienne Fatma Hassona par l’armée israélienne, le 16 avril 2025, au lendemain de l’annonce de la sélection au Festival de Cannes du film qui lui est consacré, a suscité une légitime émotion. Les crimes innombrables et anonymes commis –avant et depuis– au cours de la guerre génocidaire actuelle dans la bande de Gaza y trouvent une personnification atroce et nécessaire.

Mais cette fonction inédite et sinistre du film ne doit pas le faire disparaître en tant que tel, pour tout ce qui s’y active de singulier. La jeune femme surnommée «Fatem», le parcours et les décisions de la cinéaste iranienne Sepideh Farsi, les choix de mise en scène, y compris sous le poids de circonstances écrasantes mais comme réponses de cinéma, font de Put Your Sould on Your Hand and Walk un film puissant et fragile, nécessaire.

«Un miracle a eu lieu lorsque j’ai rencontré Fatma Hassona, en ligne, par un ami palestinien. Depuis, elle m’a prêté ses yeux pour voir Gaza pendant qu’elle résiste et documente la guerre. Et moi, je suis en lien avec elle, depuis sa “prison de Gaza” comme elle dit. Nous avons maintenu cette ligne de vie pendant plus de 200 jours. Les bouts de pixels et sons que l’on a échangés sont devenus le film», écrivait la réalisatrice en avril dernier, quand elle croyait pouvoir présenter ce film à Cannes en compagnie de celle qui occupe l’écran.

Cinéaste iranienne depuis longtemps exilée en France, autrice de films –fictions, documentaires, film d’animation (La Sirène, 2023)– le plus souvent consacrés à la situation dans son pays, Sepideh Farsi a aussi été présente dans d’autres lieux où la souffrance des humains se concentre, notamment les camps grecs où sont parqués des milliers de candidats à la migration.

C’est respecter et Sepideh Farsi et Fatma Hassouna que de ne pas faire disparaître leur film sous la colère et la douleur qu’inspire ce crime.

Dans la tension extrême du massacre en cours dans la bande de Gaza, mais aussi dans la joie affirmée comme un défi de Fatma Hassona et dans l’intelligence complice entre les deux femmes, la réalisatrice de Téhéran sans autorisation (2009) et de Demain, je traverse (2019) a fait exister Put Your Soul on Your Hand and Walk, qui a été présenté à Cannes par l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (ACID).

L’atrocité qui s’est jouée aussitôt après l’annonce de la sélection du film –le meurtre de Fatma Hassona et de plusieurs membres de sa famille par l’armée israélienne, qui avait «ciblé» la jeune femme d’après le collectif de chercheurs indépendants Forensic Architecture– a provoqué une intense émotion, qu’il importe de ne pas laisser s’éteindre.

Mais c’est respecter et Sepideh Farsi et Fatma Hassona que de ne pas faire disparaître leur film sous la colère et la douleur qu’inspire ce crime. Principalement composé d’enregistrements des échanges entre la cinéaste et la photographe sur WhatsApp et Telegram, il est dominé par ce sourire que la photojournaliste palestinienne arbore presque tout le temps, y compris en évoquant les maisons rasées, les corps déchiquetés.

Le sourire de Fatima «Fatem» Hassouna, acte de résistance. | New Story

Le sourire de Fatma «Fatem» Hassouna, acte de résistance. | New Story

Que ce qu’incarnait cette jeune femme continue d’exister

Devant ce sourire, on songe à une scène de Je suis toujours là de Walter Salles (2024) où, après que son mari a été torturé à mort par la dictature militaire brésilienne, la mère décide que sa famille n’apparaîtra publiquement que le sourire aux lèvres. Mais Fatem ne se résume pas à une jeune femme qui sourit.

Lucide, capable de mobiliser l’humour comme l’analyse, autrice d’images fortes qui émergent de la masse de représentations des ruines sans fin résultant du pilonnage incessant de Tsahal depuis près de deux ans sur les quartiers habités, Fatma Hassona n’est pas qu’une icône de résistance au quotidien au moment où elle est filmée, devenue depuis une image de martyre.

Dans le film, où apparaissent plusieurs de ses images, elle est aussi une artiste et une journaliste –donc en danger redoublé, puisqu’Israël a tué au moins 220 journalistes palestiniens dans la bande de Gaza depuis le début de la guerre, selon Reporters sans frontières. Un choix de ses photos, accompagnées notamment d’une partie de son dialogue avec Sepideh Farsi, vient d’être publié aux Éditions Textuel sous le titre Les Yeux de Gaza, après avoir été exposées dans de nombreuses galeries et au festival Visa pour l’image, la grande manifestation annuelle du photojournalisme, à Perpignan.

Une des photos de Fatima Hassouna qui figurent dans Put Your Soul on Your Hand and Walk. | Capture d'écran New Story via YouTube

Une des photos de Fatma Hassona qui figurent dans Put Your Soul on Your Hand and Walk. | Capture d’écran New Story

Fatma Hassona était aussi une jeune femme vivante, active, curieuse, qui s’occupait de sa famille, animait des ateliers pour les enfants dans une école voisine à moitié détruite, allait se marier quelques jours après la présentation du film. (…)

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