La mort de Brigitte Bardot, «icône» et phénomène de société

Cernée par les paparazzi dans Vie privée , de Louis Malle. | Capture d’écran Malavida Films via YouTube

Celle qui fut, il y a sept décennies et durant une quinzaine d’années, l’actrice française la plus célèbre au monde laisse un sillage paradoxal et chargé de malentendus.

Qui est mort le 28 décembre 2025 à l’âge de 91 ans? Répondre «Brigitte Bardot» ne dit pas ce que désigne ce nom. Le terme qui lui est le plus souvent accolé est «icône», mot souvent employé à tort et à travers. Mais pas dans ce cas, à condition d’entendre qu’on ne parle pas de la femme, mais d’une image dotée par une institution (non plus religieuse, mais médiatique) d’un pouvoir surnaturel.

Une icône, en effet, ce n’est pas une personne, c’est une image, avec certaines caractéristiques qui sont celles qu’aura eues cette femme décédée le 28 décembre à Saint-Tropez (Var). Sauf que les images ne meurent pas –ou alors d’une manière très différente des humains.

L’image de la personne qui, en un seul film de 1956, Et Dieu… créa la femme, et même en une séquence de danse dans ce film de Roger Vadim, devint une célébrité mondiale, n’est pas morte ces jours-ci, pas plus qu’elle n’est morte en 1973, lorsque BB quitta les plateaux de cinéma et la quasi-totalité des autres activités qui lui avaient valu son statut.

Défense des animaux, mais idées odieuses

Mais une image avait été produite. Et c’est au nom de ce qui s’était installé dans cette relativement brève période, moins de vingt ans de carrière en pleine lumière dont seuls quelques films sont susceptibles d’échapper à un oubli complet, qu’elle aura continué d’occuper l’espace public, principalement à deux titres.

Le premier, devenu essentiel pour elle et auquel elle consacra une énergie inépuisable, un engagement sans limite, faisant preuve en plusieurs occasions d’un courage physique impressionnant et d’une constance indéniable, est la défense des animaux, sous de multiples formes, notamment à travers la fondation qui porte son nom.

Chez elle dans sa propriété de La Madrague, à Saint-Tropez, avec un de ses chats, dans le film documentaire Bardot d'Alain Berliner et Elora Thevenet, sorti le 3 décembre 2025. | Capture d'écran Pathé Live via YouTube

Chez elle dans sa propriété de La Madrague avec un de ses chats | Capture d’écran de la bande annonce de Bardot d’Alain Berliner et Elora Thevenet/Pathé Live

Le second concerne la manière dont elle a, à de nombreuses reprises, exprimé des opinions racistes, réactionnaires, hostiles aux minorités notamment de genre et aux combats féministes, ainsi qu’un compagnonnage revendiqué avec le Front national, devenu Rassemblement national, et à ses épigones jusqu’à récemment Éric Zemmour.

Son quatrième mariage, avec un proche de la famille Le Pen, a contribué à cet affichage qui lui a valu de multiples condamnations notamment pour propos racistes. Quoiqu’elle ait été avant ou en même temps, avoir été ainsi une propagandiste des idées racistes et fascisantes est un comportement qu’on peut considérer comme odieux et inexcusable.

Début décembre est sorti sur les écrans Bardot, un film qui lui est consacré et qui cherche à minimiser cette dernière dimension. Les nombreuses archives qui y figurent accompagnent sa biographie, y compris ses films, tout en mettant en évidence le processus qui a fait d’elle cette fameuse icône. Ce processus, le cinéma y a contribué de manière décisive, mais très particulière.

Personnalité médiatique et sex-symbol

Au milieu des années 1950, le monde occidental est en plein bouleversement générationnel et sociétal. Brigitte Bardot en sera à la fois un instrument et un symptôme. À l’époque, le film de Roger Vadim, à cause de son actrice principale, de la manière dont elle s’y comporte et dont elle est filmée, apparaît comme le premier signe important de ce qu’on appellera bientôt la Nouvelle Vague.

Il ne s’agit pas de la Nouvelle Vague comme révolution artistique qu’incarneront ensuite Jean-Luc Godard et François Truffaut, Alain Resnais et Agnès Varda, mais de la Nouvelle Vague comme bouleversement dans les mœurs, tel que le cinéma s’en fait à l’époque la chambre d’écho. Se met alors en place un processus singulier concernant la jeune interprète de Et Dieu… créa la femme.

L'affiche du film de 1956 qui a créé le phénomène BB.

L’affiche du film de 1956 qui a créé le phénomène BB.

D’une part, Brigitte Bardot devient une personnalité médiatique incarnant un changement considérable dans la saturation de l’espace public par les médias. Pratiquement personne dans le monde ne suscitera à l’époque un tel déchaînement, sinon Elvis Presley et, un peu plus tard, les Beatles. A fortiori aucune femme, ni aucune vedette de cinéma, ni aucun·e Français·e.

Mais ce n’est pas pour ses films ou pour son talent d’actrice que Brigitte Bardot déclenche des émeutes partout où elle passe, mais comme sex-symbol, incarnation explicite, revendiquée, d’une fantasmatique massivement partagée par les hommes et très largement par des femmes.

Érotisée à l’extrême dans une époque extrêmement pudibonde, sa présence est surjouée dans ce registre par l’ensemble des canaux de médiatisation. Et par elle-même, qui ne fut jamais un simple jouet de manipulations intéressées de ses pygmalions et des organes médiatiques.

En témoignent par excellence trois de ses principaux films: En cas de malheur, de Claude Autant-Lara en 1958; La Vérité, de Henri-Georges Clouzot en 1960; puis Vie privée, de Louis Malle deux ans plus tard. Tous ont comme personnage principal, au-delà d’héroïnes prénommées respectivement Yvette, Dominique ou Jill, la bombe sexuelle Brigitte Bardot.

Et tous, en feignant plus ou moins de dénoncer la manière dont elle est assujettie au regard lubrique et possessif des mâles, font exactement de même en ce qui concerne leur mise en scène. Et relève absolument du male gaze, dont il faut rappeler qu’il ne s’agit pas d’une lubie contestataire des années 2010, mais d’un concept rigoureusement construit dès le début des années 1970, juste au moment de la retraite de l’actrice qui y a si activement contribué.

Le seul qui, loin de capitaliser sur ce qu’il fait mine de dénoncer, en déjouera avec humour et élégance les mécanismes (dès la scène d’anthologie où Michel Piccoli découpe –verbalement– en morceaux les différentes parties de son anatomie) tout en offrant à l’actrice un véritable rôle, sera Jean-Luc Godard avec Le Mépris (1963).

Camille dans Le Mépris, de Jean-Luc Godard, un grand rôle sans lendemain. | Capture d'écran STUDIOCANAL France / Carlotta via YouTube

Camille dans Le Mépris, de Jean-Luc Godard, un grand rôle sans lendemain. | Capture d’écran STUDIOCANAL France / Carlotta

Phénomène et fantasme mondial stéréotypé

Ce sera presque sans lendemain (même si elle fait une apparition à titre amical dans Masculin féminin en 1965), à l’exception de cette curiosité qu’est Viva Maria!, son deuxième film avec Louis Malle, mais surtout avec Jeanne Moreau comme partenaire.

Le duo de femmes pirate la surenchère voyeuriste au principe du film, le pousse à un excès qui désamorce la malhonnêteté de mises en scène qui tirent le maximum de bénéfice spectaculaire des attraits physiques de l’actrice, devenue un fantasme mondial stéréotypé, en semblant s’intéresser à autre chose.

Viva Maria!, de Louis Malle, avec Brigitte Bardot et Jeanne Moreau, sorti en 1965.

Le cas de Jeanne Moreau, qui a incarné à l’écran une autre figure de femme libre dans la période de gloire cinématographique de Brigitte Bardot, offre un contraste saisissant quant à la manière de déjouer les stéréotypes. Stéréotypes qui sont toujours, in fine, des manifestations de domination.

Or, c’est bien ce qu’a incarné la star qui fit rêver les hommes du monde entier et modélisa le comportement et l’apparence de millions de femmes. Rien d’étonnant à ce que Brigitte Bardot ait très tôt, bien avant son rapprochement avec le Front national, violemment dénoncé les féministes. (…)

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2 réflexions au sujet de « La mort de Brigitte Bardot, «icône» et phénomène de société »

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