Ours d’or du dernier festival de Berlin, le film d’Ildiko Enyedi met en scène avec un humour très particulier et beaucoup d’émotion une histoire d’amour à l’épreuve des conventions et des pesanteurs du quotidien.
Où fait-il le plus froid? Dans ces bois couverts de neige, où se rencontrent un cerf et une biche? Ou dans cette usine blanche, aseptisée et mortelle? La femme blonde, tendue, sèche, est arrivée. Elle prend son poste de contrôleuse qualité dans l’abattoir. Elle ne dit rien de superflu, ne sourit pas. Sur son bureau, les stylos doivent être parallèles. Parfaitement parallèles.
Quelle vie est-ce qu’une vie de stylos parallèles, sans paroles superflues? Quelle blessure enferme un être humain dans cette prison (f)rigide?
Dans un des bureaux, le chef du personnel fait son travail. Comme il faut, pas plus. Les flics ont des doutes. Lui, il a une routine. Boulot, sérieux, et puis le soir, surgelé, bière, télé. La vie, quoi.
Dans la forêt, le cerf et la biche vont boire à la rivière. C’est son rêve à lui, chaque nuit. C’est son rêve à elle, chaque nuit. Une petite ruse du hasard fera que ces deux taiseux s’en apercevront. Que faire de ça?
Le comique, l’horreur, l’amour
Le film d’Ildiko Enyedi est une comédie. La comédie la plus retenue, les plus intériorisée, la plus à vif qui se puisse imaginer. Comme si le visage impavide de Buster Keaton avait contaminé ses gestes et ses paroles, pour donner accès à une vérité des émotions, des angoisses et des désirs. Comme si le silence du muet avait imprégné le babil du monde.
Ou alors les films de Keaton n’étaient pas du tout des comédies, plutôt des drames métaphysiques mais il ne fallait pas le montrer, donc on faisait des galipettes. Cette fois pas de galipettes. Un murmure exact, assumé. Une sincérité jusqu’au sang.
Corps et âme est un film d’horreur aussi. L’horreur de la difficulté d’habiter ce monde, de jouer les grimaces du social, d’être seul et d’être avec les autres. L’horreur d’une perception juste un peu plus intense des limites, des écarts. Tous les jours. L’horreur d’avoir à les franchir.
Mais c’est en même temps un film d’amour. (…)