Des DVD en bonne et belle forme, pour l’amour du cinéma

Dans Les 400 Coups de François Truffaut, qui fait partie des belles (ré)éditions de cette fin d’année, une scène mémorable de passion pour les films.

Plus ciblée, plus construite, l’offre de DVD en cette fin d’année permet des découvertes magnifiques et de précieuses retrouvailles.

Il y a beau temps que le match DVD vs VOD est plié. L’affaire est entendue, les disques ne sont plus un support de masse pour regarder les films, et sauf désintégration d’internet, il n’est pas prévisible qu’ils le redeviennent. Cela ne rend pas le support dépassé pour autant, même si ses fonctions ne sont plus ce qu’elles furent.

Le maître mot en ce qui concerne l’édition DVD est en effet «édition», travail éditorial, élaboration d’une offre construite, selon une logique comparable à celles des (authentiques) éditeurs de livres.

Le choix des titres, la manière de les assembler, de les présenter matériellement, de les accompagner d’éléments, audiovisuels ou imprimés, qui aident à les comprendre et à les aimer, définissent plus que jamais cette activité. Elle ouvre des possibilités qui ne se retrouvent ni dans le travail, différent, des salles et des festivals, ni dans l’offre des plateformes, même si certaines (Univerciné, LaCinetek, Tënk, Mubi… ou le site d’Arte) proposent elles aussi des approches fécondes.

Minoritaire, le DVD fait néanmoins partie de l’écosystème du cinéma, plus exactement d’une dynamique de l’amour et de l’intelligence du cinéma, qui n’a jamais été aussi nécessaire. Et, à tous ceux qui ont un lecteur, cela reste de très beaux cadeaux à offrir.

«Un violent désir de bonheur» de Clément Schneider

Difficile de trouver meilleure illustration de ce qui précède qu’avec ce double DVD. Le film qui figure sur la pochette est sorti en salles en 2018… le lendemain de Noël, date-poubelle où sont obligés de s’entasser les «petits films» qui n’ont pu trouver place sur grand écran à un moment plus favorable. Il est passé pratiquement inaperçu et a rapidement disparu des écrans.

C’est pourtant un film étonnant de beauté et d’énergie, une histoire d’amour sous la Révolution française dans les paysages des Alpes du Sud, plein de vigueur et d’émotion. Pas découragé, son distributeur, la vaillante maison indépendante Shellac, l’édite donc en DVD.

Mieux, elle y adjoint un premier film inédit, Études pour un paysage amoureux, impressionnant de séduction ludique, d’humour rohmérien et d’attention aux actrices qui occupent la quasi-totalité du récit. Et encore deux courts-métrages, aussi différents entre eux que les deux longs, et qui achèvent de convaincre que Clément Schneider est un cinéaste à part entière, déjà signataire d’une œuvre riche et diverse.

Édition: Shellac

«Les aventures d’Antoine Doinel» de François Truffaut

Il n’est évidemment pas question de révélation. Les 400 Coups, Baisers volés, Domicile conjugal figurent, à juste titre, parmi les films les mieux connus et les plus aimés d’un cinéaste lui-même, toujours à juste titre, très connu et très aimé –le court-métrage Antoine et Colette et L’Amour en fuite, moins célèbres, ne sont assurément pas pour autant des découvertes.

La découverte, c’est d’abord la qualité de ces rééditions, accompagnées d’un riche appareil de commentaires –dont les présentations de Serge Toubiana– et un grand nombre d’émissions de télévision d’époque avec François Truffaut.

Mais réunir les cinq Doinel, c’est aussi inviter à mieux mesurer la singularité de ce qu’inventa Truffaut dès son premier long-métrage en 1959, dans le registre aujourd’hui encombré du rapport à l’intime, de l’autofiction.

C’est encore avoir accès à deux phénomènes passionnants. Regarder quatre soirs de suite pendant les vacances de Noël les quatre DVD (Antoine et Colette et Baisers volés sont sur le même), c’est être remis au contact de ce simple miracle du dispositif cinématographique qui consiste à accompagner l’évolution dans le temps d’un être humain pendant vingt ans, de la sortie de l’enfance à l’âge adulte, cet être humain étant inséparablement Jean-Pierre Léaud et Antoine Doinel.

Et c’est avoir un accès exceptionnel à ce qui se joue, se partage, s’interroge, se décale, entre un cinéaste et son acteur, entre Truffaut et Léaud, au fil des ans et des films. C’est très émouvant et très joyeux, et infiniment mystérieux.

Édition: Carlotta (coffret)

Kōji Fukada en cinq films

L’année 2021 aura consacré à bon droit la découverte d’un grand réalisateur japonais, Ryusuke Hamaguchi, l’auteur du magnifique Drive my Car, événement du Festival de Cannes, mais aussi des Contes du hasard et autres fantaisies, qui a marqué le Festival de Berlin, et devrait sortir en 2022. Incontestable, cette reconnaissance ne devrait en aucun cas priver d’attention un autre excellent cinéaste de même origine, qui lui aussi est en train de conquérir la visibilité qu’il mérite.

Les cinq films réunis par ce coffret, Hospitalité, Au revoir l’été, Sayonara, L’Infirmière et Le Soupir des vagues, rendent accessibles –et devraient aider à attirer l’attention sur– l’univers et le style singulier de cet auteur.

Ces cinq films, d’ailleurs sensiblement différents entre eux, mettent en évidence la manière toute personnelle qu’a Fukada de fusionner quotidien et fantastique avec une douceur qui n’exclut ni les ombres inquiétantes, ni les notes burlesques.

Édition: Hanabi (coffret)

«L’Héroïque Lande (la frontière brûle)» de Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval

Jusqu’au 19 décembre, le centre Pompidou accueille l’œuvre des deux cinéastes dans le cadre d’une manifestation, «Le cinéma en commun», qui réunit leurs films, une installation, ainsi qu’un ensemble de réflexions et de débats inspirés par leur travail. Au sein de celui-ci, déploiement de grande ampleur des ressources de l’image, de la parole et de l’interrogation politique des codes dominants, L’Héroïque Lande occupe une place exceptionnelle.

Réalisée à Calais dans la dite «jungle» puis lors de sa destruction, étape-clé du processus de fabrication de la misère et de la violence dont nous vivons aujourd’hui les effets, cette fresque est une grande aventure de la vitalité, de la curiosité, de l’inventivité en même temps qu’un portrait sans concession des forces de destructions qui, là plus qu’ailleurs, ravagent, enferment, maltraitent, blessent et tuent.

Il est important que ce film existe en DVD pour aider à le montrer, à réfléchir et à agir. Il est important aussi de l’inscrire dans l’ensemble des réalisations actuelles de Klotz et Perceval, ce que permet la présence du court-métrage Fugitif où cours-tu?, du long-métrage inédit Saxifrages, quatre nuits blanches, et du livret avec notamment des contributions de Jean-Luc Nancy et de Robert Bonamy.

Édition: Shellac

LIRE LA SUITE

Les somnambules de la liberté

Low Life de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval

Ici et ailleurs. Dans ce contemporain de surveillance, d’omniprésence du spectacle et du contrôle, de traque des étrangers, de révolte qui peine à trouver ses codes et ses objectifs, au-delà du refus et de la beauté du geste. Et dans un monde intemporel, un espace poétique sans âge, celui de la jeunesse comme catégorie philosophique et d’un imaginaire graphique et poétique saturé d’échos, d’Antigone à Sid Vicious, de Rimbaud à Cocteau et à Philippe Garrel. Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval s’installe dans cette zone frontière, non pas entre deux mondes mais entre deux perceptions du monde, documentaire et onirique. Par les nuits et les ruelles, ils accompagnent un groupe de jeunes gens, poètes et activistes, qui évoquent les protagonistes maudits du Diable probablement de Robert Bresson, sans doute le plus terrible requiem des espoirs de la génération 68. Mais nous voici bientôt un demi-siècle plus tard.

Il ne reste rien des matériaux et des agencements d’alors, il reste ces deux tas informes, et qui ne communiquent pas. Ici la misère, la violence, la police, la soumission, la colère. Là l’Amour, la Jeunesse, l’Espoir, la Poésie. Klotz et Perceval cherchent à susciter avec des matériaux lourds quelque chose de très fragile, d’impalpable : un rêve tissé des malheurs du contemporain, expulsions, vidéosurveillance, et des mythes de l’humanité, racines plongées dans les violences archaïques d’Eschyle, et du vaudou. L’activisme d’un petit groupe d’adolescents, puis le vertige et les impasses d’un amour entre une belle rebelle et un sans-papier dans la ville de Lyon hantée de la mémoire des traboules résistantes, se composent en phrases, en tableaux, en scènes où les partis-pris esthétiques travaillent à faire contrepoids aux situations chargées de sens.

Ça s’envole, ou pas. Ça s’enchante, ou pas. Parfois ça danse vraiment. C’est difficile et touchant, y compris de sa difficulté même. La générosité est là, et la disponibilité aux vibrations qu’émettent ces corps si jeunes, si beaux, écartelés entre action et mise à distance, séduction et écart. Bleu comme la nuit et la peur, émouvant et instable, traversé de fulgurances inouïes, magnifié par une bande son venue de la face sombre d’une planète inconnue, Low Life se construit et se défait en même temps. Ses formules – politiques, magiques, artistiques – guettent des fusions improbables, des alchimies utopiques.

Voir le film, c’est en quelque sorte accompagner ses auteurs dans l’aventure même de son invention, de ses élans et de ses apories, de ses frémissements et de ses cris perçus comme d’une nécessité qui cherche sans cesse, trouve, ne trouve plus, retrouve vers quoi ils tendent, où se jouerait leur unisson, et leur montée en énergie, leur propre dépassement. A venir.