Vic+Flo ont vu un ours de Denis Côté 
Vic (Pierrette Robitaille) + Flo (Romane Bohringer)
On se demande au début ce que c’est que ce signe + entre les diminutifs des prénoms des deux héroïnes. Une astuce graphique pour la promo ? Pas vraiment le genre de Denis Côté. On se demande, mais ça ne gêne pas. Ça ne gêne pas l’entrée dans cet univers où semblent régner des lois physiques légèrement différentes, temps un peu plus lent, pesanteur un peu plus lourde, nature aux horizons bouchés. Sans compter un scout trompettiste calamiteux. C’est là que s’installe Victoria, sortie d’un nulle part qui se révèlera être une longue peine de prison, pour un crime qu’on ne dira pas. Là, à la lisière entre deux monstres de taille inhumaine. Son passé de taularde en probation juste derrière, la forêt canadienne tout autour.
Il y a un jeune gars qui joue avec un hélico télécommandé, et un vieux paralysé bien incapable de jouer avec son fauteuil roulant, et aussi un bled à proximité, assez handicapé dans son genre lui aussi. Victoria s’en sacre, comme ils disent dans le coin. Elle ne veut rien, et surtout pas se mêler au monde. Juste vivre entre passé et forêt. Guillaume n’est pas contre, mais il a des doutes. Officier de probation de Victoria qui a plus de deux fois son âge, il voudrait à la fois faire son boulot, contrôler et organiser, et puis aider aussi, et même partager un peu. Pas si simple, jeune ami. Parce qu’arrive Florence, qui a 20 ans de moins que Victoria.
La première fois qu’on la voit, on ne la voit pas, elles sont toutes les deux sous la couette à se faire des mamours. Flo a rejoint Vic, avec qui elle était en prison, et en amour. Elles voudraient être ensemble et quitter le monde, voilà sens du + dans le titre. Il est le signe d’une tentative de fusion, d’ailleurs le titre devrait être « Vic+Flo a vu un ours », au singulier de l’utopie. L’utopie fusionnelle et isolationniste de Vic surtout. Flo, elle, n’est pas contre aller faire des tours au village, boire une bière au bistrot même ni très gai ni accueillant. Croiser un beau gars c’est bien aussi.
Le film s’est construit comme ça, un peu comme on bâtirait une maison avec des planches, des pierres et des briques, et pas trop de ciment ni de plâtre. Un plan, une scène, une réplique, un regard. Il y a du temps qui passe, de l’air qui circule, ça vibre comique et ça se tend tragique, ça sursaute et ça s’apaise. Les films de Denis Côté sont des êtres vivants, assez imprévisibles, un peu sauvages. Ce sont des êtres auxquels il est arrivé des choses, avant, ailleurs, des choses qu’on ne saura pas mais qui les animent et les transforment. Vic+Flo est comme ça, le film, mais aussi le couple, ou plutôt la tentative de bloc hors du monde qui l’anime. Mais du monde, du passé et de la forêt surgiront d’autres forces, brutales et implacables, comme le loup sort du bois dans les contes.
Le septième long métrage du réalisateur québécois est un conte en effet. Pour autant qu’on tienne à trouver des repères du côté des genres, c’est aussi un film noir et une comédie, un film d’horreur et un film fantastique. Et encore une parabole ironique sur l’idée de couple, ou sur l’espoir de rupture radicale, « du passé faisons table rase » ? Aïe aïe aïe ! Mais c’est surtout, grâce en particulier à Pierrette Robitaille et Romane Bohringer, une expérience de chaque instant, une expédition dans l’esprit et les sensations. Quasi-immobile et saturé de rebondissements, un beau voyage.