Le Promeneur d’oiseau de Philippe Muyl, qui représente la Chine aux Oscars
Depuis une décennie, chaque année voit une augmentation du nombre de pays candidats à l’Oscar du meilleur film étranger –en version originale: Foreign Language Academy Award. C’est en effet la langue qui compte, tous les films en anglais étant, eux, éligibles à toutes les autres catégories, quelque soit leur origine. Pour la cérémonie de 2014, le nombre de 76 candidats représentait en record, balayé cette année avec 83 impétrants. Courant décembre, le comité ad hoc qui, au sein de l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences (AMPAS), s’occupe de cette partie très singulière de la compétition, devrait rendre publique une première liste, de 9 titres, parmi lesquels seront ensuite sélectionnés les cinq finalistes, annoncés en janvier.
L’AMPAS a toujours eu du mal à intervenir dans la catégorie Foreign Language, loin des préoccupations hollywoodocentrées qui pilotent l’ensemble de ses activités. Cela a souvent donné lieu par le passé à des choix marqués par un décalage incompréhensible avec ce que les amateurs de cinéma du monde entier considéraient comme des grands films, et à des manipulations grâce à des intermédiaires capables d’influencer les votants. Tout cela a été en partie amélioré au cours des dernières années grâce à des modifications du règlement, et notamment l’ajout de ce comité spécialisé, habilité notamment à ajouter à la liste des finalistes des films considérés comme majeurs qui auraient été oubliés par la procédure normale.
Cette évolution explique en partie la hausse du nombre de candidats, qui reflète aussi, et surtout, le nombre croissant de pays où existe et se développe un cinéma ambitieux, qui ne se destine pas uniquement à la distraction locale mais à une reconnaissance plus large. Ce phénomène est directement lié à la gigantesque multiplication du nombre de festivals, qui offrent désormais une visibilité à d’innombrables films de multiples origines, en dehors des circuits commerciaux classiques –qui tendent, eux, à être de plus en plus saturés par les produits hollywoodiens.
D’où, à nouveau, le besoin de signes de distinction forts pour se frayer une place –et peu de signes sont aussi forts qu’une nomination comme finaliste aux Oscars, sans parler de la conquête de la statuette elle-même.
Une récente enquête du journal corporatif de Hollywood, Variety, a mis en évidence le rôle décisif des festivals internationaux dans la désignation des candidats par les différents pays. Le Festival de Cannes est de loin celui qui pèse le plus, suivi à bonne distance par Berlin et Venise. Le poids de ces festivals se retrouve de manière accrue dans les listes de finalistes, et celles des lauréats.
Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans la liste des 83 films de cette année, où on trouve par exemple une première candidature mauritanienne, celle de Timbuktu d’Abderrahmane Sissako, un des plus beaux films de la compétition cannoise (sortie en France le 10 décembre). Aux côtés du représentant français, le beau Saint Laurent de Bertrand Bonello, Timbuktu, produit par Sylvie Pialat, est un des 12 films étrangers mais massivement coproduits en France à concourir à l’Oscar.
De manière inattendue, on trouve aussi parmi ces candidats un film qui n’a pas eu, lui, les honneurs des grands festivals internationaux. Il s’agit du candidat présenté par la Chine, qui s’est pourtant à nouveau distinguée cette année dans l’arène internationale, notamment grâce à l’Ours d’or à Berlin de Black Coal de Diao Yinan, qui semblait faire un candidat idéal.
Mais plutôt que ce film noir, les autorités chinoises ont préféré présenter une charmante bluette entre un grand père et sa petite fille pris dans des tribulations à travers quelques uns des plus beaux paysages du pays, et découvrant les joies de la vie simple à la campagne. Le Promeneur d’oiseau ressemble davantage aux films officiels que produisait la Chine il y a une vingtaine d’année, mais sa principale singularité est d’être signée d’un Français, Philippe Muyl. Bénéficiant du récent accord de coproduction signé entre la France et la Chine, celui-ci a en effet réalisé ce qui est fait le remake d’un de ses propres films, Le Papillon (2002), avec Michel Serrault. Comme quoi la bien-pensance est sans frontière. Le film, récemment sorti en DVD édité par UGC, se regarde d’ailleurs sans déplaisir, agréable promenade sentimentale et touristique dans des paysages exotiques autour d’un scénario sans malice.
Il reste que le choix par les autorités chinoises d’une réalisation signée d’un étranger est un camouflet violent envers l’ensemble des cinéastes du pays. Dans un environnement aussi nationaliste que la Chine, et une culture où faire perdre a face est un acte grave, l’explication la plus plausible est qu’il s’agit d’une réaction du pouvoir au geste de protestation très vigoureux des cinéastes contre la censure dans leur pays, censure qui s’est significativement renforcée récemment.