Au plus noir des difficultés de l’existence, le rire des deux paysans chinois éclaire la singularité de leur relation dans Le Retour des hirondelles.
Aussi différents soient-ils, les films de Philippe Petit, de Li Ruijun et de Noémie Lvovsky trouvent en eux-mêmes des ressources en prise avec de multiples formes d’énergie vitale.
Avec les congés scolaires en ligne de mire, ce sont pas moins de dix-sept nouveautés (et une flopée de reprises) qui arrivent sur les écrans ce mercredi 8 février. Parmi les nouveaux films, on dénombre au moins trois propositions singulières et qui méritent une attention dont on peut craindre qu’elles ne bénéficient pas, au milieu d’une pléthore de longs-métrages qui engendre plus de confusion que de désir.
Trois «petites musiques», absolument différentes les unes des autres, auxquelles il y a lieu de prêter l’oreille au sein de la cacophonie ambiante pour y découvrir à chaque fois un plaisir inattendu. Français ou chinois, ces films n’ont pas grand-chose en commun, et y chercher des ressemblances serait un exercice forçant le sens du hasard de leur date de distribution commune.
Il n’empêche: chacun à leur façon, ils témoignent des multiples manières dont le cinéma peut être travaillé de l’intérieur, pour le meilleur, par ses relations au vivant, tout le vivant –humain et non-humain. Et en tirer de multiples avantages.
«Tant que le soleil frappe», de Philippe Petit
La belle évidence qui s’impose d’emblée dans le premier long-métrage de fiction de Philippe Petit ne cessera de se révéler féconde tout au long du film. Mettre aussi explicitement un espace public –un terrain vague pourri en plein Marseille que les riverains veulent transformer en jardin– au cœur d’une mise en scène et d’un récit –mais surtout d’une mise en scène– est une très belle idée de cinéma, riche de rapports à l’espace et au temps, de conflits et de questions.
Ce jardin n’est pas le sujet du film, qui raconte l’histoire de Max, paysagiste accroché à ce projet et qui va rencontrer bien d’autres péripéties, émotionnelles, affectives, professionnelles et politiques. Mais l’idée de départ est toujours là, elle hante le film comme elle obsède son personnage principal. Et c’est, de façon tellement plus créative, quelque chose qui, comme un souffle, traverse la succession des séquences, tandis que s’organise la mise en place des rencontres, des défis, des stratégies, des trahisons.
Avec les édiles locaux, avec un architecte en vue, avec ses collègues du service des jardins de la ville, avec sa femme et sa fille aussi, avec les habitants du quartier de la porte d’Aix comme avec le footballeur vedette Djibril Cissé dans son propre rôle, ce sont des rapports toujours en mouvement qui ne cessent de s’activer, et qui donnent sa dynamique au film.
Jouant à la fois des codes du film de genre (film noir et western) et d’une étrangeté proche d’un fantastique teinté d’onirisme, Tant que le soleil frappe respire. Il le doit en grande partie à cette présence si particulière, et qui ne cesse de faire résonner les plans où il apparaît, de Swann Arlaud, depuis sa découverte dans Ni le ciel ni la terre (2015), sa reconnaissance dans Petit Paysan (2017) et récemment l’extraordinaire accomplissement qu’était son rôle dans Vous ne désirez que moi (2022).
À eux seuls, ces trois titres disent la diversité non seulement des personnages mais des approches, des rapports au monde qui habitent ce comédien étonnant, chez qui vibre une lumière enfantine, mais où se perçoivent à la fois une tension physique et une profondeur réflexive, un charme et une inquiétude qui peuvent à leur tour devenir inquiétants.
Ce que fait l’acteur dans ce film est décisif pour garder constamment ouvertes les possibilités, les échappées, au sein d’un scénario qui mobilisent tout en même temps des codes dramatiques connus, volontairement prévisibles.
La femme de Max (Sarah Adler) pourra-t-elle convaincre celui-ci (Swann Arlaud) des risques que son projet fait courir à sa famille comme à sa carrière? Et le veut-elle vraiment? | Pyramide Distribution
Cette dynamique dialogue de manière très suggestive avec celle, rare au cinéma, des possibilités narratives et imaginatives d’espaces aménagés, en l’occurrence les jardins imaginés par Max, pour le quartier déshérité comme pour la villa de luxe.
La plus belle réussite du film tient peut-être à la façon dont, sans y insister, il rend perceptible ce qui se propose, au présent et au futur, dans une organisation des parcelles, le choix des végétaux, la pensée des jeux de lumière et d’ombre, de couleurs et de rythmes. En filigrane, une belle suggestion du cinéma comme art du vivant.
Tant que le soleil frappe
de Philippe Petit
avec Swann Arlaud, Sarah Adler, Grégoire Oestermann
Durée: 1h25
Sortie le 8 février 2023
«Le Retour des hirondelles», de Li Ruijun
Il est d’abord plutôt mystérieux, le processus qui suscite intérêt, empathie, curiosité, envers les êtres et les situations qui apparaissent sur l’écran. De ce paysan chinois à la vie misérable, malmené et méprisé par ses proches, de cette femme victime de handicaps et de violences, de la manière dont leurs familles leur imposent un mariage dicté par l’avidité égoïste, puis de l’existence quotidienne de ce couple, rien a priori ne concerne un spectateur d’ici et maintenant.
Il sera d’autant plus beau et émouvant, le parcours qui inscrit du même mouvement obstiné ce récit dans l’universel des contes fondateurs et dans le réalisme matériel des travaux et des jours d’un homme et d’une femme, qui deviennent pas à pas plus familiers, plus proches, plus réels.
Le Retour des hirondelles est un drame aux multiples péripéties, avec moments lyriques, coups du sort, éclats de violence et instants de tendresse. Mais si son déroulement est loin d’être uniforme ou minimaliste, c’est pourtant bien sa manière d’accompagner des gestes, des durées, des textures, qui le rend si beau et touchant.
Le sixième film de Li Ruijun est d’abord et surtout une expérience qui se nourrit des sensations, du sentiment de la présence de la terre et du vent, du chaud et du froid, des temporalités du jour et de la nuit, du passage des saisons… Ainsi, l’histoire de la relation particulière qui se développe entre les deux déshérités unis par des forces qui les dominent mais ne peuvent les écraser, et de leurs multiples combats menés avec leurs armes à eux, devient cette épopée modeste et matérialiste, portée par un souffle d’une ampleur inattendue.
Le film se passe dans la Chine actuelle, pays désormais perçu, par lui-même et par le monde, comme une nation hyper-industrielle, définie par ses titanesques mutations urbaines et technologiques. La manière dont est ici rappelé, à mi-voix, que quelque 600 millions d’êtres humains peuplent toujours ses campagnes, souvent avec des modes de vie archaïques, relativise ce que le film pourrait avoir d’intemporel ou d’exotique.
Témoins de cette actualité, parmi les multiples obstacles qui se dressent devant le «cadet Ma» et sa femme Guiying, les aménagements du territoire décidés par la bureaucratie et la spéculation foncière ne sont pas moins menaçants que les intempéries ou les traditions inégalitaires. (…)