Le premier long métrage de la réalisatrice Rungano Nyoni bouscule avec élégance les certitudes, donnant à voir à travers le portrait d’une enfant mutique le pouvoir d’ensorcellement du cinéma.
Une seule chose est sûre: la petite fille du nom de Shula est une sorcière. Mais qu’est-ce qu’une sorcière? Une femme dotée de pouvoirs surnaturels, ou celle que d’autres veulent croire telle et qui n’a d’autre choix que de s’y conformer? Une personne atteinte de troubles que son entourage ne sait pas nommer autrement? Un bouc émissaire d’une communauté pour tenter d’évacuer ses problèmes? Une curiosité folklorique?
Tout le film se déploie sur l’incertitude sans fin de cette question. Où cela se passe-t-il? Voilà une autre question, à laquelle la réponse n’est pas plus simple. Le film se passe en Zambie (au sud du Congo, entre l’Angola et le Mozambique, un pays un peu plus grand que la France). Il se passe en Afrique.
Il se passe dans un monde de représentations, défini par les croyances et les peurs, les manipulations et les stratégies (ecclésiales, politiques, économiques) –donc partout, ici aussi.
Une seule certitude, le premier long métrage de la réalisatrice Rungano Nyoni est très beau.
L’élégance des plans est d’abord un peu suspecte. Entre images «documentaires» léchées et stylisation dont les spectateurs européens n’ont aucun moyen de savoir ce qu’elle emprunte à des rituels existants ou à une théâtralisation voulue, le regard hésite, rechigne à se laisser séduire.
Tant mieux. C’est une dimension de cette aventure où divers pouvoirs, dont aussi celui des vieilles femmes stigmatisées mais organisées en communauté, ou une gamine quasi mutique, ont leur «puissance d’agir».
L’impressionnante présence, à l’image, de cette petite fille (Margaret Mulubwa) et des figures féminines désignées comme sorcières, y contribue fortement. (…)