«Ecole et cinéma» ou salles indépendantes : des changements qui abiment un système vertueux et efficace

Plusieurs événements récents témoignent d’inquiétantes dérives dans l’action publique à propos du cinéma.

Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, et Franck Riester, ministre de la Culture et de la Communication, viennent de recevoir le même courrier. Cette lettre les alerte sur la mise en danger d’un dispositif dont ils ont ensemble la tutelle et qui concerne chaque année un million d’enfants en France.

Destiné aux élèves de maternelle et d’école primaire, «École et cinéma» est, avec «Collégiens au cinéma» et «Lycéens et apprentis au cinéma», un des trois dispositifs qui accompagne durant tout le parcours scolaire la relation au cinéma, non comme une «matière» à apprendre mais comme une ressource de formation.

Créé en 1994, doyen des dispositifs, «École et cinéma» est depuis sa naissance piloté par l’association Les Enfants de cinéma. Celle-ci coordonne un réseau de milliers d’enseignants volontaires, en concertation avec les salles indépendantes des villes, quartiers et bourgades concernées, pour la découverte des films destinés à ouvrir l’esprit et à associer plaisir et réflexion.

La progression du nombre d’élèves ayant participé au dispositif École et cinéma | Site des Enfants de cinéma

De manière discrétionnaire et au sortir d’un «appel à initiative», le Centre national du cinéma (CNC) a décidé dans une décision rendue publique le 7 décembre 2018 de détruire «Les Enfants de cinéma», en confiant désormais le dispositif à une autre association, Passeurs d’images, opportunément créée quelque mois auparavant (en juin 2018) en reprenant le nom d’un –très légitime– dispositif d’initiation au cinéma hors temps scolaire.

Pourtant, le travail d’Enfants de cinéma n’a jamais fait l’objet d’évaluation négative. Mieux, le même CNC lui avait proposé en 2017 de reprendre également le pilotage de «Collégiens au cinéma».

Au terme de cette procédure opaque («l’appel à initiative» n’a aucune existence juridique, la proposition de Passeurs d’image n’a jamais été rendue publique[1]) et expéditive, la décision met en danger le réseau aussi riche que fragile d’investissements personnels sur le terrain qu’a suscité «Les Enfants de cinéma» et menace l’esprit même des dispositifs. Il inquiète également quant au sort de l’excellente plateforme numérique mise en place par Les Enfants de cinéma, Nanouk.

La catégorie fourre-tout de «l’image»

La lettre envoyée aux deux ministres, cosignée par de nombreux cinéastes, professionnels de l’éducation et acteurs de l’«action culturelle», s’alarme de ce coup de force et demande que la décision soit au moins suspendue et réexaminée.

Trois affiches récentes éditées par des membres du dispositif «École et cinéma».

Faute de clarification, cette décision apparaît aujourd’hui comme la convergence entre une volonté autoritaire du CNC de contrôler un dispositif qui pourtant fonctionnait bien et les intérêts d’un groupe professionnel puissant, les exploitants de cinéma, qui apprécieraient que les choix de films ressemblent plus à ce qu’ils diffusent dans leurs multiplexes.

Aux côtés du président de Passeurs d’image, le réalisateur Laurent Cantet dont on veut croire que d’autres occupations (ses propres films) l’accaparent davantage, on trouve en effet comme vice-président Denis Darroy, un proche de Richard Patry, le président de la Fédération des exploitants de salles, poids lourd de l’industrie.

La présentation de Passeurs d’images sur son site montre en tout cas un risque évident de dilution des objectifs de l’éducation avec le cinéma, sous la catégorie fourre-tout de «l’image».

On y perçoit fort bien les effluves de ce brouet où se mélangent films, séries et jeux vidéo, mixant caméras et téléphones portables, salles et ordinateurs, avec une complaisance démagogique pour les formes les plus aguicheuses, paresseuses et commerciales. Pas exactement ce qu’on est en droit d’espérer d’un projet d’enseignement.

Abordage meurtrier à Quimper

Une autre histoire, complètement différente, mais issue du même état d’esprit. Depuis sa naissance en 1982, l’association Gros Plan Cinéma anime la cinéphilie à Quimper et dans sa région. Jusqu’en 2012, elle s’appuie sur le cinéma municipal Le Chapeau rouge, fréquenté par un public nombreux et enthousiaste. Le lieu devient aussi un point de passage régulier de tout ce que la France compte de réalisateurs d’art et essai et de passeurs impliqués dans la transmission de cinéma. (…)

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