Festival de Cannes jour 9: et pendant ce temps-là, loin des tapis rouges…

Cette image du beau La Passion de Dodin Bouffant, en compétition et sur lequel on reviendra, n’est là que pour indiquer que cet article concerne les cuisines du cinéma français, et ce qui s’y mijote

Le grand rendez-vous annuel sur la Croisette est aussi l’occasion des annonces et des bilans, qui établissent le bulletin de santé du cinéma, en particulier du cinéma français.

Le Festival de Cannes, dont le génie propre est d’être beaucoup de choses à la fois (refrain revendiqué), est aussi l’occasion de rendre public des bilans et des annonces, en particulier concernant le cinéma du pays hôte – mais pas seulement.

Globalement, les nouvelles semblent plutôt réjouissantes, la fréquentation remonte en France, et dans les principaux pays d’Europe. Et si Hollywood est pris dans le tourbillon de la grève des scénaristes, c’est en fait un phénomène assez classique de réajustement de la place des plateformes.

Quel que soit le résultat exact du conflit, il est prévisible qu’il fixera les nouvelles règles, comme cela se produit régulièrement à chaque modification notable des rapports de force ou entrée de nouveaux acteurs.

Côté français, le Festival a été l’occasion de deux opérations principales de communication, l’une sous l’égide du Centre National du cinéma et de l’image animée (CNC), l’autre sous celle de sa ministre de tutelle. L’un et l’autre ont entonné un discours à la fois d’autosatisfaction et d’optimisme, qui mériteraient pourtant d’être a minima nuancés. En outre, un troisième événement, qui s’est lui produit à Paris, ajoute encore davantage d’ombres au tableau.

Le Bilan de l’année 2022

Comme il est d’usage, le CNC a présenté durant le Festival le bilan de l’année écoulée. Côté fréquentation, il fait état d’une amélioration après les années perturbées par le COVID et les mesures parfois excessives ayant impacté la relation du public au cinéma.

Pour l’essentiel, la puissance publique a joué son rôle protecteur en soutenant les salles, parfois même de manière disproportionnée (en compensant le manque à gagner des ventes de popcorn dans les multiplexes par exemple). Mais cela n’aide pas forcément à combler la perte d’habitude du public, ou plutôt de tous les publics, à se rendre au cinéma.

Avec 152 millions d’entrées en 2022, une remontée s’est amorcée, qui se confirme d’ailleurs durant les premiers mois de 2023. Mais la question, qui vaut pour la totalité des actions de la puissance publique dans le secteur, ne devrait pas concerner seulement la quantité mais la qualité: quels films? Quelles salles? Quels spectateurs?

Une lecture plus attentive des résultats fait en effet apparaître une aggravation du fossé entre gros films porteurs et d’innombrables titres bénéficiant d’une moindre exposition et de moindres moyens promotionnels. Intervenir sur ces enjeux est exactement ce qui définit une politique culturelle, en se différenciant d’une politique industrielle et commerciale. Le document édité par le CNC note «une reprise plus difficile pour l’Art et essai», mais on ne voit guère venir d’initiatives pour répondre à cette situation.

Le bilan fait aussi apparaître le maintien d’un volume de nouveaux films très élevé, 681 nouveaux titres ont été distribués en 2022, dont une quantité déraisonnable de films français (411).

Le sujet, périlleux, n’est traité que selon une alternative dont les deux termes sont destructeurs: soit laisser-faire, voire augmenter les occasions de financement, avec pour effet des embouteillages ravageurs où les moins armés médiatiquement seront broyés, soit s’en prendre en amont à ces mêmes plus faibles sur le terrain économique.

Là aussi, une véritable politique culturelle consisterait au contraire à construire les conditions d’existence des œuvres les plus audacieuses, en réduisant le soutien à un tout venant de productions moyennes qui embouteillent les écrans et désorientent les spectateurs potentiels. Ce qui ne figure pas semble-t-il à l’ordre du jour.

La Grande Fabrique de l’image

Rima Abdul Malak, la ministre de la culture, est venue annoncer à Cannes les résultats de l’appel à projets dans les différents secteurs de l’audiovisuel, volet du plan de financement public France 2030 lancé par le gouvernement et doté d’un budget de 54 milliards d’euros.

Les 350 millions attribués à l’audiovisuel dans le cadre de la dite Grande Fabrique de l’image se répartissent en deux volets, un destiné à la création ou développement d’infrastructures de production, l’autre à la formation, selon la célèbre recette du pâté d’alouette, un cheval production, une alouette formation. Depuis le début, comme de nombreux acteurs du monde culturel l’avait souligné, les autres aspects de la création et de la diffusion étaient exclus.

Et chacun sait que le gros effort sur les infrastructures de tournages, de postproduction et d’effets spéciaux vise surtout à attirer les grosses plateformes de streaming, dont les infrastructures seront donc financées sur des deniers publics. Là comme ailleurs, l’idéologie mensongère du ruissellement (à force d’aider les plus puissants ça finira bien par profiter aussi aux autres) ne cesse d’être contredite par les faits.

Il y a évidemment lieu de se réjouir d’une aide, néanmoins substantielle, accordée à des lieux de formation parmi les plus actifs, et répartis dans tout le territoire. Mais là aussi, on retrouve cette tendance lourde de l’action publique récente, caractéristique du patron actuel du CNC, qui tend à dissoudre la singularité des pratiques et des moyens d’expression, au premier rang desquels le cinéma, dans une grande soupe où sont touillés ensemble jeux vidéo, séries télé, programmes de flux et films.

Parmi les grands absents de cette action publique aux horizons plus économiques que culturels qu’est la Grande Fabrique de l’image, on notera par exemple les festivals (Cannes était pourtant le lieu d’en parler) et la distribution indépendante, ou les modalités de présence du cinéma dans l’enseignement public, ou les nombreuses associations de terrain qui accompagnent des films, des publics, des réflexions pour et avec les films.

Les menaces du sénateur

Sans lien apparent avec Cannes, mais peut-être pas sorti par hasard en plein déroulement du Festival, un rapport sur le cinéma intitulé Itinéraire d’un art gâté signé d’un sénateur LR, Roger Karoutchi attaque explicitement tout le système d’accompagnement public du cinéma, dont les principaux piliers remontent à plus de 70 ans, et qui ont prouvé leur efficacité.

Cette appel explicite à la destruction pour laisser le secteur aux seules lois du marché n’aurait pas particulièrement de quoi inquiéter – un élu pond régulièrement un rapport de ce type, il était d’ordinaire soigneusement rangé dans un tiroir. Mais l’ambiance a changé.

Un autre rapport, intitulé Cinéma et régulation, de l’ancien vice-président du Conseil d’Etat Bruno Lasserre, remis aux ministres de l’économie et de la culture il y a un mois et demi, prône ouvertement une approche fondée sur la compétitivité, notamment en ce qui concerne les salles. Surtout, de récentes décisions de la Région Auvergne-Rhône-Alpes présidée par Laurent Wauquiez ont entrainé des baisses drastiques dans les financements publics d’organes culturels, touchant notamment le cinéma.

Le geste plus médiatisé à ce jour a été clairement présenté comme des représailles politiques de la part du candidat à la candidature présidentielle du vieux parti de droite, contre un théâtre qui ne pense pas comme lui.

Mais le plus significatif est sans doute la suppression de plus de 50% de la subvention au Festival de Clermont-Ferrand, le plus grand festival de court métrage du monde, expérience au long cours qui est une incontestable réussite, saluée dans le monde entier et utile à d’innombrables créateurs et travailleurs du cinéma.

Il ne s’agit en aucun cas d’une maladresse, mais bien d’un affichage politique destiné à faire de la culture, de la création contemporaine, un repoussoir afin de courtiser les plus réactionnaires, en se mettant à nouveau à la remorque du RN et du groupuscule fascisant de Zemmour.

Dans ce cas précis, la ministre de la culture a clairement affiché son opposition à la mesure, déclarant : « Quel est l’intérêt pour Laurent Wauquiez de vouloir affaiblir un festival avec une telle notoriété, une telle force économique et culturelle? Je me battrai pour le défendre.» (Le Film français du 22 mai 2023). Il y a lieu de lui en savoir gré.

Monsieur Karoutchi, qui appartient au même parti que monsieur Wauquiez, tire dans le même sens que le patron de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Un sens relativement nouveau (ou très ancien). Il est clair que l’environnement idéologique et les tropismes de nombreux politiciens, également de la majorité, vont désormais dans le sens de la démagogie anti-artistique sous influence de l’extrême droite, à rebours d’une tradition bien établie aussi dans la droite française classique d’inspiration gaulliste.

Entre idéologie ultralibérale et poujadisme bas du front, les signaux politiques émis autour du cinéma, comme art et comme espace à bien des égards (encore) exemplaire de l’action publique, sont donc loin d’être rassurants.

Il faut néanmoins aussi prendre acte d’une autre proposition, également issue du Sénat, en l’occurrence d’une «mission d’information». Intitulé «Le cinéma contre-attaque : entre résilience et exception culturelle, un art majeur qui a de l’avenir» , il comporte des propositions nettement plus prometteuses en termes d’adaptation d’un système fondamentalement vertueux aux modifications récentes.

Cannes cette année, où il semble que les conflits concernant le secteur soient remisés au vestiaire tandis que la relation avec les grandes plateformes se normalise (grâce notamment au rôle qu’a joué le Festival par le passé en refusant de se plier aux diktats de Netflix) n’aura guère contribué à y apporter des éclairages, encore moins des réponses.

Surtout, la deuxième quinzaine de mai est la période de l’année où le cinéma polarise le plus les attentions, il aurait été heureux que cela aide à rendre visible combien ses questions internes participent des interrogations et des choix à l’échelle de toute la société. Cela n’aura pas été le cas.

Le cinéma en France ne manque pas d’argent, c’est son statut qui est en jeu

L’appel à des états généraux du cinéma qui s’est tenu le 6 octobre a été le pivot d’un ensemble de prises de position qui traduisent une urgence, mais entretiennent de multiples malentendus.

«Nous devons, tous autour de cette table, nous remettre en cause. On doit évoluer, on ne peut pas toujours attendre le père Noël, l’État qui va prendre des décisions magnifiques. […] Les gens ne veulent pas aller au cinéma pour se faire chier!» Au cours de la matinale de France Inter le 12 octobre, les phrases de Jérôme Seydoux ont sonné comme un coming out du plus grand patron du cinéma en France.

Pas du tout un coming out sur une remise en cause le concernant lui, homme d’affaires enrichi dans le transport maritime et qui considère le cinéma comme un business et rien de plus, mais un appel explicite à l’abandon d’une politique publique –appel qui, soit dit en passant, se déclinerait volontiers dans les autres secteurs que le cinéma.

En plus clair, ce qu’a dit le patron de Pathé aux gens qui font des films, à ceux qui les accompagnent et à ceux qui aiment voir autre chose que les formats imposés par le goût dominant, c’est: «Soumettez-vous au marché ou crevez.» Disons que ça avait le mérite de la clarté.

Juste avant sa sortie très concertée à France Inter, le patron de Pathé avait été au centre d’une autre polémique en posant parmi un groupe de vedettes, uniquement des homes blancs, à la une du magazine professionnel –avec en accroche le nom du parti de Zemmour, pour couronner le tout.

Cette sortie ultralibérale avait lieu dans le sillage de l’appel à des états généraux du cinéma, assemblée qui s’était tenue six jours plus tôt et à laquelle ont participé plus d’un millier de professionnels.

Au-delà d’un malaise partagé par l’ensemble des intervenants à cette rencontre, malaise qui a pu sembler bénin, ou sectoriel, aux yeux de tant de Français confrontés à de multiples difficultés quotidiennes et angoisses pour un avenir immédiat ou plus lointain, il faut dire que le message émis par les états généraux manquait de clarté –la plupart des médias s’étant ensuite chargés de brouiller davantage les signaux.

Le sujet est pourtant bien réel, et mérite mieux que les effets d’estrade ou les complaintes formatées. Une des causes du malentendu a pu tenir à l’intitulé même de la rencontre: dans le milieu du cinéma, «états généraux» renvoie à un ensemble de débats et de travaux qui se sont tenus en mai-juin 1968, soit dans un contexte complètement différent –et avec des effets à peu près nuls, au moins dans les années qui ont suivi.

Il fallait une sacrée dose de puérilité (soyons poli) pour prétendre transposer l’esprit de cette époque à la situation actuelle. Les incantations insurrectionnelles n’auront servi qu’à ajouter de la confusion à un sujet bien assez complexe en lui-même.

Ne surtout pas demander d’argent

À l’opposé, pourrait-on dire (même si cela n’empêche pas certains d’occuper les deux positions), se sont réitérées les demandes à davantage de financement.

C’est une erreur tragique, qui condamne tout mouvement dans le monde du cinéma à l’échec –et à l’hostilité ou à l’ironie de l’immense majorité de nos concitoyens. Il faut le dire une bonne fois pour toute: le cinéma français ne manque pas d’argent.

On pourrait même préciser la formule, pour mieux insister sur ce qui est en jeu: le cinéma en France ne manque pas d’argent, puisque ce qui est en jeu ne concerne pas uniquement les productions, les salles et les professionnels de ce pays, mais concerne la place, unique et formidable, qu’y occupe (encore) le cinéma, tout le cinéma.

On laisse ici de côté l’épisode Covid, où le cinéma a bénéficié comme tant de secteurs du «quoi qu’il en coûte»… sans aucune réflexion d’ensemble prenant en compte les besoins du secteur.

Il est essentiel de marteler qu’il ne s’agit pas de demander de l’argent: depuis au moins vingt ans, chaque fois qu’un souci a surgi, qu’une mutation a fragilisé un pan du secteur, qu’une corporation a fait entendre sa voix un peu plus fort que les autres, la réponse des pouvoirs publics a consisté à trouver un peu plus d’argent pour répondre à la pression.

Rappelons à cette occasion que cet argent n’est pas «l’argent des Français», mais de l’argent prélevé et redistribué à l’intérieur du système audiovisuel, y compris désormais sous ses modalités en ligne.

On laisse ici de côté l’épisode Covid, tout à fait particulier, où le cinéma a bénéficié comme tant de secteurs du «quoi qu’il en coûte», jusqu’à rembourser aux multiplexes le pop-corn qu’ils auraient vendu s’ils avaient été ouverts… Mais à nouveau sans aucune réflexion d’ensemble prenant en compte les besoins du secteur, et d’abord ses besoins culturels.

Ce qui est supposément la raison d’être d’une ministre de la Culture, laquelle (il s’agit de la précédente) s’est beaucoup vantée d’avoir obtenu plein d’argent. Mais elle n’était pas là pour ça! Elle était là pour piloter ce qui a disparu depuis des décennies du logiciel de ceux qui nous gouvernent: une politique culturelle.

Une alternative au marché

Contrairement à l’approche de nombre de politiques comme de professionnels, ceux-là même dont Jérôme Seydoux s’est fait le porte-parole sciemment provocateur, une politique culturelle ne sert pas à renforcer le marché.

Elle sert, au sein d’une économie de marché, exactement à l’inverse: à permettre l’existence, la diffusion et la reconnaissance partagée d’autres propositions que celles élaborées par le marché.

Malgré les attaques, c’est ce que l’ensemble des dispositifs mis en place depuis soixante-dix ans continue de faire pour les films français, ces films qui «font chier» surtout ceux qui ne vont pas les voir, ayant décidé que seuls les standards dominants du show-biz étaient dignes d’intérêt.

Cette année sont sortis ou sortiront sur les grands écrans Viens je t’emmène, Saint Omer, Un beau matin, Les Harkis, À propos de Joan, Walden, Revoir Paris, Chronique d’une liaison passagère, Coma, Le Pharaon le sauvage et la princesse, Avec amour et acharnement, Magdala, La Nuit du 12, Peter von Kant, Traverser, Twist à Bamako, Pacifiction, Goutte d’or, Frère et sœur, De nos frères blessés, Les Amandiers, I Comete, Ma Nuit, Bowling Saturne, Bruno Reidal, Nous, Vous ne désirez que moi, Enquête sur un scandale d’État, Arthur Rambo

On en oublie, et il ne s’agit pas de les aimer tous. Mais cette richesse de propositions, sans équivalent dans le monde, mérite mieux que les insultes et le mépris qui s’affichent désormais avec une arrogance inédite.

Il faut rappeler ici que le «goût dominant» (le refrain bien connu: il faut donner au public ce qu’il demande) n’a rien de naturel. Il est le résultat de milliards de dollars et d’euros investis en marketing, avec des techniques de plus en plus sophistiquées à l’heure des algorithmes et de la supposée intelligence artificielle.

La culture, c’est de la politique

Après sa sortie à la radio, le patron de Pathé s’est taillé un beau succès sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes relayant l’idée que tout ce que travaille à faire vivre le système public serait en effet «chiant», puisque c’est le vocable dont ils se revendiquent.

C’est naturellement leur droit, mais c’est aussi la conséquence d’une emprise sans précédent sur les esprits, et d’un abandon de la promotion par de multiples organes créés, encadrés et coordonnés (dans les médias, dans l’éducation, dans les quartiers…) de l’ambition artistique, de la complexité, de la diversité des formes, des aventures de l’esprit hors des modèles formatés. En un mot: de la culture.

Nous vivons une mutation des comportements du public et des formats de création, qui exige de réinventer la politique culturelle pour aujourd’hui et demain.

Et la culture, au sens de la construction de relations désirées avec des formes variées, inédites, dérangeantes, propres à déplacer les perceptions, les comportements et les manières de penser, la culture est un enjeu politique de premier plan. Une politique publique de la culture n’a pas d’abord pour raison d’être de protéger le «secteur culturel» et ceux qui le font vivre.

Elle concerne l’ensemble de la population, (…)

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Cannes Jour 6: protéger et transformer

Magali Payen, Marion Cotillard et Cyril Dion annoncent la création de la société de production Newtopia.

Deux initiatives annoncées ce week-end travaillent à associer le cinéma aux nécessaires modifications face à des fléaux très actuels, la montée en puissance des formes les plus brutales de censure et la domination de représentations qui contribuent à la destruction de la planète.

Au Festival de Cannes, il y a des films, et c’est le plus important. Il y a ceux qui les font, ceux qui les montrent, ceux qui contribuent à leur notoriété. Ce qui importe également. Et puis il y a des réunions, et parfois des annonces.

Cette fin de semaine a ainsi été l’occasion de rendre visibles deux initiatives importantes, ou du moins qui pourraient le devenir. L’une est une initiative publique, l’autre privée, elles ne se situent pas sur le même terrain mais sont susceptibles de contribuer à des évolutions souhaitables, à des actes bénéfiques –pas seulement pour le cinéma.

Caméra libre!, aux côtés des plus menacés

La plus simple, en tout cas dans son principe, est l’annonce par le CNC d’un nouveau dispositif de soutien intitulé «Caméra libre!». Selon la présentation officielle, il s’agit d’accueillir et d’aider des réalisateurs persécutés dans leur pays d’origine.

Plus précisément, «des cinéastes qui développent un projet de long métrage (fiction, documentaire ou animation) à vocation internationale et qui, malgré leur talent et la reconnaissance internationale qu’ils ont pu obtenir pour leurs œuvres antérieures, sont confrontés à la censure, à la persécution ou à des violences politiques qui les mettent en danger, les empêchent de se consacrer à l’écriture de leur projet, ou rendent difficile la mise en réseau avec des partenaires potentiels pour financer celui-ci».

Ce programme est mis en œuvre avec la Cité internationale des Arts qui accueille déjà de nombreux artistes d’autres disciplines, notamment parmi ceux qui sont obligés de fuir des menaces sur leur travail, voire sur leur vie.

Cette initiative s’inscrit dans une longue et globalement très bénéfique tradition d’interaction de la France avec les créateurs de cinéma du monde entier, notamment grâce au dispositif «Cinémas du monde» (CNC et Institut français) et aux accords de coproduction signés avec 55 pays.

Elle fait figure de geste positif d’autant plus remarquable qu’ils sont rares en ce moment. En attendant, sans espoir excessif, d’éventuelles annonces de la nouvelle ministre de la Culture, Rima Abdul Malak attendue sur la Croisette mardi 24, ce sera au moins un acte à retenir de la part d’une administration qui depuis des années ne brille pas par ses propositions autres que de gestion.

Au train où va le monde avec la montée en puissance des diverses formes de dictatures, et alors que le cinéma s’est considérablement diversifié en termes d’origines nationales depuis quarante ans, «Caméra libre!» risque fort d’avoir besoin d’intervenir très souvent.

Pour l’instant, selon le communique du CNC, «7 ou 8 cinéastes» seraient sélectionnés chaque année, il est à craindre que le nombre ne soit pas suffisant. Mais l’histoire a montré qu’une fois mis en place, ce type de dispositif était capable de s’adapter aux réalités de terrain, et il faut parier que ce sera à nouveau le cas.

Changer les regards pour changer les pratiques

Autre pari, beaucoup plus complexe à mettre en œuvre mais à terme possiblement prometteur d’effets importants, l’initiative annoncée par un groupe de professionnels dont les deux figures de proue sont le réalisateur Cyril Dion et l’actrice Marion Cotillard –avec à leurs côtés notamment la productrice très impliquée dans les enjeux écologiques Magali Payen.

La société de production Newtopia ambitionne de donner naissance à des films, longs métrages de fiction surtout mais aussi documentaires et courts métrages, susceptibles de modifier les imaginaires concernant la nature et les relations que les humains entretiennent avec elle. (…)

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Festival de Cannes, jour 1: un enjeu stratégique

L’affiche officielle du 75e Festival de Cannes.

Alors que le cinéma se trouve à un tournant de son histoire, le rendez-vous annuel sur la Croisette qui débute ce 17 mai n’a jamais été aussi important.

La 75e édition du Festival de Cannes, qui commence le 17 mai pour se clôturer avec l’attribution de la Palme d’or le 28, appelle bien entendu quelques célébrations. Mais il s’agit à vrai dire d’un millésime bien plus important que les noces d’albâtre qu’il semble célébrer. Jamais peut-être en ses trois quarts de siècle d’existence[1] le rendez-vous annuel sur la Croisette n’aura eu une telle importance.

Il lui revient en effet de jouer un rôle majeur dans le processus actuel affectant le domaine dont il est un fleuron, et qu’on appelle le cinéma. Celui-ci se trouve actuellement à un tournant de son histoire, moment effectivement «dramatique» (au sens d’un rebondissement majeur dans un récit ou un spectacle) mais pas nécessairement tragique.

Trois phénomènes

Les trois principaux phénomènes auxquels est due cette situation sont bien connus: la montée en puissance des plateformes de diffusion des contenus audiovisuels, la vogue des séries comme format de fiction très apprécié, et la pandémie de Covid-19.

Ces phénomènes sont différents tout en étant reliés entre eux. Ils ont des effets indéniables, mais qui ont donné lieu à des analyses, et souvent à des prédictions funestes, pour le moins partielles et biaisées.

En ce qui concerne les plateformes, il est certain que celles-ci constituent, et vont constituer à long terme un mode privilégié de circulation des programmes. Au-delà de l’hystérie qui a accompagné l’essor de Netflix et a nourri une bulle spéculative dont il est possible qu’on voie bientôt l’éclatement, l’accès en ligne est là pour rester. Les géants en la matière s’appellent déjà, et s’appelleront pour longtemps Disney, Amazon et Apple.

À côté existent et existeront des dispositifs plus modestes et plus spécialisés, dont les modalités d’existence (modèle économique et définition des formes de contenus) sont loin d’être stabilisées. Il y a toutes les raisons de penser que, parmi d’autres types d’offres, les films de cinéma y trouveront des possibilités de diffusion considérables et bienvenues.

Une bataille culturelle

En ce qui concerne les géants du secteur, leur modèle économique –comme celui de Netflix– ne repose pas sur le cinéma mais sur les produits de flux, au premier rang desquels les séries. Rien dans leur ADN n’exige la destruction des salles de cinéma, ni l’élimination de ces objets singuliers que sont les films, dont ils ont un usage secondaire, de prestige surtout.

Ces plateformes contribueront à en produire, et les montreront. Si la bataille avec Netflix, seule entité à s’être positionnée contre la salle, a été et reste une bataille économique et réglementaire, avec les autres géants du streaming, elle est culturelle.

Il s’agit de continuer de rendre désirables des formats de récit et de représentation qui n’appellent ni la répétition d’une formule, ni la promesse d’un clonage potentiellement infini des épisodes et des saisons. Il s’agit de réaffirmer que la dépendance addictive est un esclavage, même volontaire, même désiré, et le ferment de toutes les soumissions. Il s’agit de privilégier les choix singuliers sur la réitération paresseuse et infantilisante.

Le film comme objet, et la salle de cinéma comme lieu privilégié auquel il est destiné (auquel il est toujours destiné, quel que soit l’endroit où chacun le verra) ne sont nullement condamnés d’office par ce processus.

De multiples biais

Bien au contraire, nombre des plus grands consommateurs de plateformes sont aussi parmi les spectateurs les plus assidus en salle.

Et des salles, on en construit en ce moment un peu partout dans le monde –en Europe, en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient. Cela pointe vers un des nombreux biais qui affectent les discours actuels concernant l’état et l’avenir du cinéma: l’incapacité à penser en dehors du référent américain.

Comme dans tant d’autres domaines, mais de manière peut-être encore moins légitime, les décideurs et les commentateurs restent les yeux rivés sur les évolutions outre-Atlantique où la situation, complexe, est pourtant fort différente.

L’histoire du cinéma, et singulièrement du cinéma français, a montré à de nombreuses reprises qu’il était possible de fonctionner selon d’autres principes, et avec des résultats largement positifs.

Le 19 mai, on va au cinéma! Et ensuite…?

Fin avril, Nanni Moretti rouvrait lui-même les portes de son cinéma, le Nuovo Sacher, à Rome. A présent arrive le tour des salles françaises (capture d’écran d’une vidéo postée par Moretti sur Instagram).

Pour se réjouir de la réouverture des salles, s’orienter dans la (relative) profusion de l’offre et comprendre ce qui va se jouer dans les prochains mois.

Deux messages contradictoires accompagnent l’annonce de la réouverture des salles le 19 mai. L’un, optimiste, fait état du puissant désir de retrouver le grand écran chez un très grand nombre de futurs spectateurs –et bien sûr de la joie des professionnels de les accueillir. L’autre, beaucoup plus sombre, annonce des embouteillages meurtriers dus au trop-plein de films en attente, dénonce le manque de coordination des professionnels et d’efficacité des pouvoirs publics à assurer une réouverture en bon ordre. Il prévoit catastrophes et injustices pour les structures les plus fragiles, confusion et désorientation pour les spectateurs.

À ceux-ci, on se permettra de proposer ici, en toute subjectivité mais à l’écart des campagnes promotionnelles comme des réflexes conditionnés, une petite liste de priorités parmi les sorties annoncées d’ici fin juin.

Jusqu’à la fin juin, parce que début juillet commencera le Festival de Cannes et s’ouvrira une autre période, toute aussi inédite, avec la conjonction du plus grand festival du monde dans des conditions très particulières, des suites encore très présentes de la pandémie, de la longue fermeture d’octobre 2020 à mi-mai 2021, et d’une saison estivale qui obéit de toutes façons à d’autres règles que le reste de l’année.

Au bonheur des nouveautés

Le 19 mai, pas d’hésitation. Deux films se placent en tête de liste pour renouer avec le grand écran. D’abord le très réjouissant et complètement barré Mandibules de Quentin Dupieux, ensuite l’émouvant et délicat L’Étreinte de Ludovic Bergery avec Emmanuelle Béart. Ne pas oublier non plus Écoliers de Bruno Romy, dont on a dit ici tout le bien qu’il fallait en penser, à l’occasion de sa diffusion sur le site La 25e heure.

Le 26 mai, après des propositions toutes françaises la semaine précédente, on se tourne vers des offres venues des quatre coins du monde, avec en priorité Balloon du Tibétain Pema Tseden, L’Arbre du Portugais André Gil Mata, Si le vent tombe de l’Arménienne Nora Martirosyan, et aussi Vers la bataille, signé du Français Aurélien Vernhes-Lermusiaux mais entièrement situé dans la jungle mexicaine.

Le 2 juin, deux évidences. Petite Maman de Céline Sciamma déjà évoqué lors de sa présentation au Festival de Berlin, et la belle adaptation de Duras par Benoît Jacquot Suzanna Andler. Mais aussi deux fictions pour interroger l’histoire, histoire américaine avec Billie Holliday, une affaire d’État de Lee Daniels et histoire française avec Des Hommes de Lucas Belvaux, porté par Gérard Depardieu, Catherine Frot et Jean-Pierre Daroussin.

 

L’affiche de la rétrospective Kiarostami en salles à partir du 2 juin.

À quoi il convient d’ajouter le même jour le début de la plus grande rétrospective jamais consacrée en France à Abbas Kiarostami, avec des chefs-d’œuvre devenus des classiques (Où est la maison de mon ami?, Close-Up, Au travers des oliviers, Le Goût de la cerise, Le vent nous emportera) et de nombreux inédits, films des débuts avec des enfants, ou réflexion en profondeur sur la révolution (Cas n°1, cas n°2)[1].

Le 9 juin est largement dominé par l’arrivée de Nomadland de Chloé Zhao, couvert d’Oscars et autres statuettes dorées, film magnifique déjà évoqué lors de sa présentation à Venise où il avait obtenu le Lion, d’or lui aussi. Mais il ne faudra pas oublier le très remarquable Le Père de Nafi du Sénégalais Mamadou Dia.

Abondance de biens le 16 juin, avec un autre long-métrage à juste titre remarqué aux Oscars, le premier film Sound of Metal de Darius Marder porté par Riz Ahmed. Merveille de justesse attentive, 143 rue du désert de l’Algérien Hassen Ferhani, découvert à Locarno en 2019, méritera lui aussi la plus grande attention, tout comme la remarquable réflexion sur les images Il n’y aura plus de nuit d’Eléonore Weber. À guetter enfin Médecin de nuit d’Elie Wajman avec un mémorable Vincent Macaigne.

Le 23, il importera de ne pas laisser passer Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, non plus que le documentaire passionnant Les Indes galantes de Philippe Beziat sur la préparation du spectacle de baroque Krump désormais culte de l’Opéra de Paris. Ne pas oublier non plus, si possible, l’inattendu Tokyo Shaking d’Olivier Peyon.

Et le 30 juin, au moins deux films vraiment admirables même s’ils risquent de ne pas bénéficier de toute la visibilité qu’ils méritent, Février du Bulgare Kamen Kalev, et La Fièvre de la Brésilienne Maya Da-Rin. Sans oublier pas moins de sept films de Roberto Rossellini, aussi nécessaires en 2021 que le jour de leur sortie.

 

                                                    Annette de Leos Carax, qui sortira en salle le jour de sa présentation en ouverture du Festival de Cannes. | UGC Distribution

Et puis le 6 juillet arrivera Annette, le très attendu musical de Leos Carax avec Adam Driver et Marion Cotillard, dans les salles en même temps qu’en ouverture du Festival de Cannes.

Foire d’empoigne

La liste de recommandations qui précède est faite sur la base des informations disponibles quelques jours avant la réouverture, situation susceptible de changer encore. Des ajustements ne cessent de se faire dans la programmation. Des titres sont ajoutés, retirés, déplacés dans ce qu’il faut bien nommer une foire d’empoigne. Le CNC, soutenu par la médiatrice du cinéma, a bien tenté d’édicter des règles adaptées à ce moment singulier, afin de préserver la diversité de l’offre et un certain équilibre. Peine perdue, le syndicat qui fédère les plus gros distributeurs français et américains, la FNEF, ayant refusé de participer à la négociation. Les pouvoirs publics ont dû se contenter d’émettre une recommandation qui n’engage que ceux qui le veulent bien –c’est-à-dire justement pas ceux qui devaient être contraints de faire un peu de place aux autres. (…)

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«Le jour où les projecteurs s’arrêteront», scénario catastrophe en cours d’écriture

La question de la sortie de crise pour le cinéma n’est pas qu’un problème de professionnels du secteur et de cinéphiles, elle concerne les possibilités d’invention d’un «après» dans tous les domaines.

Vue l’avalanche de grands mots depuis trois semaines, on hésite à employer des formules grandiloquentes. Mais en toute objectivité, il se joue en ce moment un phénomène historique pour le cinéma.

Si celui-ci est véritablement né le 28 décembre 1895 avec la première projection publique des frères Lumière, c’est parce que depuis ce moment-là, il n’y avait plus eu un seul jour sans qu’aient lieu des séances de cinéma. Actuellement, malgré le confinement, il y a encore dans quelques parties du monde des cinémas qui fonctionnent. Mais partout les projecteurs continuent de s’éteindre, pour des durées indéterminées.

La Chine, deuxième plus grand pays de cinéma au monde, a tenté dès l’amélioration de la situation sur son territoire de rouvrir les salles, avant de les fermer précipitamment à nouveau, en attendant une stabilisation plus complète de l’état sanitaire.

De par le monde, un grand nombre de salles ne rouvriront jamais, elles auront fait faillite, les autres –grands circuits et indépendants– vont connaître des situations financières difficiles. Comme bien d’autres secteurs d’activité, dira-t-on à juste titre.

Mais, pour le cinéma bien plus que pour l’industrie et le commerce de la chaussure, de la voiture ou du jeu vidéo, se posera la question du désir. Même si un récent sondage semble, en France, laisser espérer que celui-ci traverse l’époque du confinement, il y a lieu de s’inquiéter, et de préciser le sens de cette inquiétude.

Le jugement du virus

Contrairement à ce que répètent comme des perroquets des publicistes et des pseudo-journalistes, le cinéma en salle se portait très bien, en France, en Europe et dans le monde jusqu’au déclenchement de la crise. Ayant subi cette stase mondiale, dont on ignore encore la durée, qu’en sera-t-il de ce désir très particulier de sortir de chez soi pour aller collectivement s’asseoir dans le noir regarder un film après avoir payé sa place?

Tous les historiens ont noté combien a été rapide, à la fin du XIXe siècle, le succès international de l’invention des frères Lumière: une véritable traînée de poudre. Le grand critique et théoricien André Bazin a formulé et expliqué comment le cinéma avait répondu à ce qu’il appelle «un besoin anthropologique», à un désir partagé par les êtres humains, au-delà de leurs immenses différences. En est-il toujours de même aujourd’hui? On n’en sait rien.

Il ne s’agit pas de se demander si nous avons envie d’histoires, et en particulier d’histoires racontées avec des images et des sons: sur ce point, il n’y a pas de doute. Il s’agit de se demander si ce qui s’est cristallisé dans une forme particulière, largement définie par le grand écran, la salle obscure et la vision collective, est encore massivement désiré. Ce dispositif est celui pour lequel sont faits les films, quel que soit le support sur lequel on les regarde.

La VOD est un moyen de transport (très utile pour les films, entre autres); elle n’est pas un dispositif de création, ce qu’a été et reste la salle de cinéma. «Dispositif de création» signifie l’ensemble des éléments qui configurent certains produits audiovisuels comme films, parce que la salle de cinéma est leur destination première.

Scorsese peut peut-être continuer à faire des images comme pour le cinéma en travaillant pour Netflix (encore que ça se discute au vu de The Irishman), mais c’est parce qu’il est tombé dans la marmite cinématographique quand il était petit. On peut se demander si ce sera encore le cas des générations à venir, hormis quelques initié·es, si les projecteurs s’arrêtent.

Il est en effet possible que le cinéma vienne non à disparaître, mais à se raréfier au rang de curiosité réservée à des poignées de passionné·es se nourrissant essentiellement de grandes œuvres du passé. Il occuperait alors dans la vie commune un statut comparable à celui que détient par exemple aujourd’hui l’opéra. S’il n’y a plus l’horizon de la salle, il y aura encore beaucoup de productions audiovisuelles, mais à terme il n’y aura plus de nouveaux films, y compris à regarder en VOD.

Le Covid-19 joue à cet égard le rôle d’un juge objectif et impitoyable, sans opinion sur le sujet et pourtant capable de trancher d’un coup des millions de liens tissés depuis 125 ans.

Des formes nouvelles

Le moins qu’on puisse dire est que cette menace n’est guère prise au sérieux par les personnes qui devraient être les premières à en avoir soin, les praticiens du cinéma et les autorités en charge du secteur. Oh elles s’inquiètent beaucoup, assurément! Et à juste titre.

Elles s’inquiètent d’elles-mêmes, de leur avenir d’artistes, de techniciens, d’entrepreneurs ou d’entrepreneuses. Inquiétudes légitimes, et qui justifient de jouer des coudes pour prendre place dans la longue file de celles et ceux qui attendent des pouvoirs publics des soutiens, financiers assurément, réglementaires et législatifs sans doute.

Mais dans les déclarations, revendications et démarches, on chercherait en vain les traces de ce fait tout simple: le cinéma n’est pas fait que pour les personnes qui le font. Sa raison d’être, c’est les autres. C’est ce qu’il fait, ou peut faire, aux autres. (…)

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Emmanuel Macron va-t-il déclarer la guerre au cinéma français?

L’annonce que le président de la République veut nommer à la tête du Centre National du Cinéma l’auteur d’un rapport qui menace toute l’architecture du cinéma en France suscite une profonde inquiétude.

Le 12 juillet, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a perdu sa tête. Sa présidente, Frédérique Bredin, a quitté son poste à la fin de son mandat sans successeur·e désigné·e. Cette situation est inédite dans l’histoire de l’organisme qui pilote la politique cinématographique en France. Le choix de l’Élysée pour diriger le CNC se serait porté sur le producteur Dominique Boutonnat, qui a été un des premiers soutiens financiers de la campagne du futur président.

Un rapport pour détruire

Cette nomination signifierait rien de moins que de confier les clés de l’organisation de l’action publique dans le domaine du cinéma à celui qui, dans un récent rapport, en a préconisé la destruction.

Remis au ministre de la culture Franck Riester juste avant le Festival de Cannes, le document intitulé «Rapport sur le financement privé de la production et de la distribution cinématographiques et audiovisuelles» aura eu pour effet de dresser contre lui la quasi-totalité du monde du cinéma –à l’exception des très grands groupes intégrés.

Avec un unisson rare dans la profession (en fait, des professions aux intérêts et aux approches loin d’être toujours convergentes), les organisations de réalisatrices, de techniciens, de productrices, de distributeurs indépendants et de nombreux grands noms du cinéma ont uni leurs signatures pour dénoncer la destruction du système qu’annonçait ce rapport, conforté peu après par un autre, dû à deux députées LREM, Céline Calvez et Marie-Ange Magne.

Depuis Cannes, ce mouvement est allé croissant, jusqu’à la publication le 3 juillet dans Le Monde de la tribune «La France: le seul pays au monde qui pense avoir trop de cinéma d’auteur!». Avec ses centaines de signataires, c’est l’essentiel des forces créatrices du secteur qui se mobilisait contre les propositions de celui que le président de la République semble décidé à installer à la tête du CNC, décision qui ne serait plus désormais suspendue qu’à celle du Conseil déontologique.

Une bizarrerie administrative

Une telle nomination aurait des conséquences considérables, à la mesure du rôle central que joue le CNC dans la vie du cinéma français –et dans la vie du cinéma en France, ce qui n’est pas la même chose.

Cet organisme est une bizarrerie administrative qui, grâce à cette bizarrerie même, a réussi depuis exactement soixante ans à jouer un rôle exceptionnel dans la dynamique d’un secteur artistique, économique et culturel florissant.

Depuis qu’à l’initiative d’André Malraux, il a été soustrait à la tutelle du ministère de l’Industrie pour être rattaché à celui de la Culture (à l’époque ministère des Affaires culturelles), il est un service dudit ministère (avec statut d’établissement public à caractère administratif) qui fonctionne en fait selon des procédures de cogestion entre fonctionnaires et professionnel·les.

Ce qui a permis la mise en place d’un modèle qui, pour résumer, se fonde sur le principe d’une complémentarité entre enjeux artistiques (les œuvres), enjeux culturels (les publics, l’enseignement, les festivals…) et enjeux économiques. Cette approche multiple se traduit notamment par la répartition entre soutiens sélectifs (artistiques et culturels) et soutiens automatiques (économiques).

Chacun imagine que les négociations entre ces intérêts sont complexes et pas toujours satisfaisantes. Sur la durée longue, c’est bien ce principe qui perdure. Il repose sur l’idée du cinéma comme ensemble, à la différence par exemple de la sépartion entre public et privé pour le théâtre, ou entre différents types de musique pour ce secteur.

Appuyée sur une attention historique des responsables politiques français·es pour le cinéma comme bien d’intérêt national, cette organisation a permis la mise en place d’un très vaste ensemble de dispositifs d’accompagnement et de soutiens, entièrement financés par le secteur lui-même (billetterie, chaînes de télévision, éditeurs de programmes, fournisseurs d’accès) dont l’efficacité ne se dément pas à travers les décennies. La politique publique en la matière a d’ailleurs fait l’objet d’une remarquable continuité, indépendamment des changements d’orientation des gouvernements successifs.

Assurément, comme tout système, il a eu besoin d’être adapté aux évolutions du secteur (et bon an mal an il l’a été), et il continue d’avoir besoin d’améliorations, qui visent pour l’essentiel à corriger les dérives issues de son succès même, symbolisé par des effets de trop dans certains domaines.

Un système vertueux

Mais il s’agit néanmoins d’un système qui, pour l’essentiel, fonctionne, et qui d’ailleurs inspire nombre de politiques publiques dans d’autres pays –sans que nulle part ailleurs un dispositif d’une telle cohérence et d’une telle ampleur ait été mis en place, ce qui suscite envie et soutien chez les gens de cinéma dans le monde entier.

Or, ce que propose le rapport Boutonnat n’est pas la nécessaire et continue adaptation d’un système fondamentalement vertueux, c’est sa destruction au nom d’une doxa ultralibérale invoquée comme un mantra: «Il faut accroître la rentabilité des actifs (les œuvres): la maximisation de la rentabilité des actifs (films, séries…) implique une exploitation complète des œuvres, avec une véritable logique entrepreneuriale» (c’est Boutonnat qui souligne). (…)

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Au Festival de Cannes, une journée particulière

Comme tous les ans depuis 35 ans Jean-Michel Frodon a assisté comme critique au Festival de Cannes. Il revient pour AOC sur une journée particulière de cette édition, une journée lors de laquelle se sont produits une multiplicité d’événements qui cristallisent beaucoup de ce qui fait l’importance du Festival, et aident à en comprendre les enjeux.

Ce sera le mercredi 22 mai. La date n’est pas prise au hasard. Ce jour-là s’est concentrée une multiplicité d’événements qui cristallisent beaucoup de ce qui fait l’importance du Festival, et aident à en comprendre les enjeux. Cannes est la plus importante manifestation cinématographique du monde, par la qualité des films présentés, par son attractivité planétaire, par le nombre de personnes accréditées, par le diversité des rapports au cinéma qui s’y déclinent dans le triangle de la cinéphilie, du business et du glamour. Et c’est un cas à part dans la gigantesque galaxie des festivals de cinéma, dans la mesure où il est prioritairement réservé aux professionnels.

Être au Festival de Cannes, pas forcement en compétition officielle mais dans une des 6 sélections réunies durant 12 jours en mai au bord de la Méditerranée, peut changer la vie des films, et de ceux qui le font, davantage qu’aucun autre festival – et, à la différence des Oscars, tous les films peuvent espérer en bénéficier quand le concours pour les statuettes hollywoodiennes est réservé à certains types de produits très particuliers. Et les effets de Cannes bénéficient au cinéma dans son ensemble, à sa place dans le monde, à la capacité de comprendre ce qui s’y joue.

8h30 :   Séance du matin d’un film en compétition, accessible à la presse sur présentation du badge idoine, et à ceux des accrédités qui se sont inscrits et ont retiré un billet. Ascension des marches sans tambours, trompettes ni photographes, juste les contrôles de sécurité, nombreux mais désormais très courtois et bien rôdés. Au programme, Parasite du réalisateur sud-coréen Bong Joon-ho. Et, très vite, la certitude qu’après une bonne semaine (la manifestation s’est ouverte le mardi 14), on se trouve en présence d’une offre de cinéma de première grandeur[1].

Depuis le début, les belles propositions n’ont pas manqué, en compétition (Atlantique de Mati Diop, Les Misérables de Ladj Ly, Le Jeune Ahmed des frères Dardenne, Les Siffleurs de Corneliu Porumboiu, Bacurau  de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles) ou dans les autres sections (Être vivant et le savoir d’Alain Cavalier, Zombi Child de Bertrand Bonello, Jeanne  de Bruno Dumont)… Il ne s’agit donc pas de dire « ah enfin un bon film ! », on en a vu plusieurs, on ne doute pas qu’il y en ait encore au programme. Ce qui advient de singulier avec ce film est d’une autre nature : le sentiment, très largement partagé entre festivaliers (c’est rare, à Cannes) d’une sorte de plénitude dans l’accomplissement d’un contrat de cinéma.

Quels sont les termes de ce contrat, évidemment non écrit, et qui ne devrait surtout pas être formalisé ? Un agencement dynamique d’éléments spectaculaires (comédie, drame, fantastique, violence), une capacité à évoquer des enjeux réels (injustice sociale, manipulation des apparences), l’accomplissement d’un parcours artistique personnel (depuis son deuxième film, Memory of Murder, le cinéaste sud-coréen a marqué par ses films les grands festivals internationaux). Séquence après séquence, Bong Joon-ho affirme sa réussite dans toutes ces dimensions à la fois. Secondairement, la réussite de son film conforte l’importance majeure de l’Asie sur la carte mondiale du cinéma, et en particulier la qualité de la production sud-coréenne, bien relayée par Cannes depuis la découverte de Hong Sang-soo et de Park Chan-wook.

Tout contribue à installer le sentiment que les étoiles se sont alignées. L’histoire à la fois burlesque et cruelle des membres d’une famille déshéritée s’infiltrant progressivement dans une riche demeure associe plaisir immédiat de spectateur, ouvertures à de multiples questionnements, et inscription dans des contextes (la carrière de l’auteur), l’importance du pays et de la région dont il provient, d’une manière qui s’impose comme une évidence – évidence dont on se réjouit à posteriori qu’elle ait mené à la récompense suprême, ce qui n’avait rien de garanti, toute l’histoire des palmarès cannois montre qu’un autre jury aurait pu choisir autrement. Parasite n’est pas un chef d’œuvre, ce n’est même sans doute pas le meilleur film de Bong Joon-ho (Mother y prétendrait à meilleur droit). Mais c’est le bon film au bon moment, qui réconcilie exigence envers un artiste singulier, plaisir du spectateur, et inscription dans une histoire plus ample, dont Kore-Eda a écrit un an plus tôt le précédent chapitre avec Une affaire de famille.

11h : au terme d’une marche aussi rapide que possible sur la Croisette (10 minutes pour le kilomètre qui sépare le Palais du Festival officiel du Miramar où sont projetés les films de la Semaine de la critique), arrivée ric-rac pour découvrir un premier film, sans rien savoir ni de l’œuvre ni de son auteur, un chinois du nom de Gu Xiao-gang. Sur la scène, avec son air d’étudiant en 2e année il disparaît presque au milieu des nombreux membres de son équipe. Pour présenter le film, le délégué général de le la Semaine Charles Tesson, grand connaisseur des cinémas d’Asie, évoque rien moins que A Brighter Summer Day, le chef d’œuvre  d’Edward Yang. Et il a raison. A mesure qu’on découvre la fresque immense qu’est Séjour dans les monts Fushun, s’impose l’idée qu’on est en train de découvrir un cinéaste de première grandeur.

Le titre du fil reprend celui d’un des plus célèbres rouleaux de la peinture classique chinoise, dite « de montagne et d’eau » (shanshui). Avec un sens impressionnant du rythme et des mouvements, du récit et de l’ellipse, ce jeune Gu compose un portrait de la Chine contemporaine en inventant des traductions cinématographiques aux grands principes esthétiques de la culture millénaire dont il est issu. Ici Cannes joue un autre de ses rôles, la découverte out of the blue d’un talent d’ores et déjà incontestable, et dont il y a beaucoup à attendre. Dans la salle, même si elle n’est pas immense, 10 critiques français parmi les plus importants, 20 critiques étrangers parmi les plus influents, 15 responsables de festivals venus d’un peu partout dans le monde, voient cela, comprennent cela. La vie de Gu Xiao-gang a changé, même s’il lui incombera désormais de faire avec son nouveau statut, ce qui est loin d’être facile. Et le cinéma contemporain dans son ensemble s’est, au moins un peu, transformé.

14h : Avaler une salade dans une brasserie. À la table d’à côté, des producteurs, des distributeurs et des animateurs de ciné-clubs commentent le tournant libéral qui menace l’organisation du cinéma en France, tournant annoncé par Emmanuel Macron lors d’un déjeuner avec  les ténors des dites industries culturelles lundi 13 mai. La Société des Réalisateurs de Films a publié une série de textes alertant sur les dérives du pouvoir actuel, cherchant à obtenir des réponses, voire un soutien, des pouvoirs publics en charge du cinéma. 60 ans exactement après qu’à l’initiative d’André Malraux le Centre National de la Cinématographie soit passée de la tutelle du Ministère de l’Industrie à celle du tout nouvellement créé Ministère des Affaires culturelles, l’absence de retour est telle qu’un des articles s’appelle « Le CNC est-il encore notre maison ? » Cannes c’est aussi cela : des rencontres, inévitables et souvent utiles, nées de la simple présence de tant de gens concernés par les mêmes questions dans un si petit espace. A cette terrasse, l’heure est à l’inquiétude, où se mêlent tristesse et colère de n’être pas entendus par les instances qui sont supposés être les interlocuteurs, et les soutiens de ceux qui font le cinéma.

Changement d’humeur lors d’un bref détour au pavillon des Cinémas du monde, pour profiter de la machine à café, et croiser des amies de l’Institut français. Ici on se félicite de la qualité des projets venus d’Indonésie, de Jordanie, du Laos, d’Argentine, du Kenya, des échanges avec des producteurs, des scénaristes, des possibles coproducteurs. Ici on s’apprête à recevoir une trentaine d’éditeurs français dont des livres pourraient être adaptés à l’écran… (…)

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Cannes 2019, Ep.11: L’humour très noir de «It Must Be Heaven» et les derniers feux du 72e Festival

Elia Suleiman, voyageur qui fera toujours l’objet de mesures de sécurité particulières.

Le film d’Elia Suleiman conclut en beauté une sélection globalement de très bon niveau. L’occasion de revenir aussi sur quelques outsiders marquants, sans oublier les inquiétudes à propos d’un système français menacé de fragilisation.

Dix ans après Le Temps qu’il reste, revoici Elia Suleiman, principale figure du cinéma palestinien, et grand réalisateur contemporain.

Depuis la révélation de son premier long métrage, Chronique d’une disparition, Suleiman se bat pour être à la hauteur de cette double qualification, celle qui l’attache à son origine ô combien lourde de conséquences, et celle qui renvoie à la pratique ambitieuse et inventive de son art, sans assignation à une cause ou à une zone géopolitique.

Pour un Palestinien plus que pour tout autre peut-être, cette tension peut s’avérer un piège redoutable et on a craint au cours de la décennie écoulée que ce piège se soit refermé sur le cinéaste d’Intervention divine. It Must Be Heaven constitue, à cet égard aussi, la plus belle des réponses.

Qui connaît tant soit peu l’œuvre de cet auteur en retrouvera tous les ingrédients, à commencer par son propre personnage de clown quasi-muet, témoin éberlué des folies et des vilénies du monde – compris de celles de ses compatriotes de Nazareth, la ville arabe où il est né, où il a grandi, où nous avons pu faire connaissance de sa famille et de ses voisins lors des films précédents.

Le nouveau film repart de là, en une succession de scènes qui, disant à la fois l’absurde du monde contemporain, l’oppression israélienne, les fantasmes guerriers et machistes si bien partagés chez les Palestiniens, et les mesquineries de nos frères humains.

On est dans la réalité très concrète d’un pays où une grande partie de la population subit le joug violent et insidieux des maîtres du pouvoir. Et on est dans le monde tel qu’ont pu aider à le regarder Chaplin et Tati, Boulgakov et Ionesco.

La première demi-heure reprend ainsi le fil du portrait de la réalité de ceux qui subissent l’apartheid sioniste, portrait d’une fureur dont on aurait tort de sous-estimer la vigueur sous ses apparences à la fois comiques, nonchalantes et navrées. La lenteur, le silence et l’humour sont, depuis 25 ans les armes qu’affûte inlassablement ce cinéaste.

Dans les esprits, la globalisation des murs

Mais il s’envole. Son personnage fait ce que lui-même a fait depuis longtemps déjà, il vient s’installer à Paris, où se situe le deuxième volet de ce film en trois actes et un épilogue. Dans les rues adjacentes du 2e arrondissement de la capitale française, ici défilent les corps sublimes des beautiful people d’une fashion week éternelle, là s’allonge la file des indigents qui attendent la gamelle des Restos du cœur. Après, ce sera New York, avant le retour à Nazareth.

Avec les mêmes ressources et une inventivité gracieuse et implacable, Elia Suleiman, Palestinien exilé –pléonasme? oui, mais il y a tant de formes à l’exil– déploie une fable nouvelle, qui concerne non plus sa région natale, mais l’état de notre monde. En tout cas du monde occidental, ici personnifié par deux métropoles. (…)

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Trop de films en France, oui, mais lesquels ?

Désormais relayée par les grands médias, l’idée se répand que trop de films seraient produits en France. Sous cette affirmation se dessinent d’inquiétantes stratégies.

Elle l’a dit au détour d’une phrase, mais Le Monde a cru bon d’en faire le titre de l’entretien, et de mettre la citation à la Une de son édition du 24 avril. Relayant ce qui se répète désormais fréquemment dans la profession, Catherine Deneuve accompagnant la sortie de L’Adieu à la nuit d’André Téchiné énonce un constat de bon sens : « On tourne trop de films en France ».

Mais sous cette affirmation d’ensemble, les hommes d’affaires du cinéma français ont entrepris d’inquiétantes grandes manœuvres.

Le phénomène à présent dénoncé ne date pas d’hier. C’est au cours des années 1990 que le volume moyen de production de longs métrages dits « d’initiative française » (production complètement ou majoritairement française) a doublé, passant d’une moyenne quasi stable depuis des décennie d’une centaine de titres par an à toujours plus de 200 à partir de 2010 – ils sont 237 en 2018.

Ce « boom », à nombre d’écrans pratiquement constant, et avec une bien réelle augmentation du public mais dans des proportions nettement plus faibles, s’explique principalement par des possibilités de financements accrus.

Politiques publiques quantitatives

Ces augmentations de ressources, qui vont se poursuivre, sont dues aux politiques publiques, avec notamment l’ajout aux anciennes sources du compte de soutien géré par le Centre national du cinéma (CNC) (taxe sur les billets, sur les télévisions et sur la vidéo) de la taxation des fournisseurs d’accès à internet, les apports des nouveaux services télévisuels (chaînes de la TNT, Orange), l’ajout de financements régionaux, le crédit d’impôt.

Ardemment soutenus, sinon suggérés par la profession, ces changements ont pratiquement tout misé sur le quantitatif. Selon la doxa gestionnaire, les statistiques disaient la santé du cinéma national: ça augmentait donc c’était bon.

Le ventre mou de comédies et de polars fabriqués à la chaîne a gonflé, encombrant écrans et dispositifs de soutien.

À l’époque, et l’auteur de ces lignes en a fait à plusieurs reprises la cuisante expérience pour l’avoir affirmé il y a plus de dix ans (en particulier en 2006 et 2007), il ne faisait pas bon dire qu’on produisait trop de films en France: les porte-parole de la profession ne manquaient pas de se draper dans l’étendard de la liberté d’expression (mieux cotée dans ces milieux que la liberté d’entreprendre) et de dénoncer la censure qui voulait empêcher de s’exprimer les grand·es artistes du présent et du futur.

Il en résulte que le nombre de films où peut se déceler une ambition artistique n’a pas bougé et que le ventre mou de comédies et de polars fabriqués à la chaîne a gonflé, faisant de l’ombre aux précédents, encombrant les écrans et les dispositifs de soutien.

Le cinéma d’auteur en France, qui est –il faut apparemment le rappeler– la raison d’être des dispositifs publics relevant d’un ministère de la Culture, s’en est moins bien porté, la situation des meilleur·es cinéastes français·es est plus difficile aujourd’hui qu’il y a quinze ans et on a du mal à voir émerger de nouveaux cinéastes dignes de ce nom. (…)

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