Cannes 2021, jour 6: «Bergman Island» et le pont aux fantômes

Le réalisateur Tony (Tim Roth) et la réalisatrice Chris (Vicky Krieps) dans la mythique salle de projection personnelle d’Ingmar Bergman. | Films du Losange

Le nouveau film de Mia Hansen-Løve invente, dans l’île où vécut et filma le maître suédois, un jeu léger et émouvant, complexe et lumineux, autour de la création artistique et amoureuse.

Il y a toujours un risque avec les films consacrés au cinéma. Et, aussi étrange que cela puisse paraître, à Cannes encore plus qu’ailleurs. Avec son septième film, en compétition officielle sur la Croisette juste avant de sortir dans les salles françaises, Mia Hansen-Løve démultiplie vertigineusement ce risque.

En effet, elle installe son récit dans l’île entièrement placée sous l’influence du grand réalisateur suédois, en mettant d’abord au centre du récit un couple de réalisateurs, la jeune Chris (Vicky Krieps) et le nettement plus mûr Tony (Tim Roth), chacun écrivant le scénario de son prochain film, puis en enchâssant dans ce qui leur advient des éléments du film imaginé par la jeune femme restée seule dans l’île.

À ce qui semble de prime abord un entrelacs autoréférentiel alambiqué, le film oppose d’emblée deux puissants antidotes, la vivacité des personnages joués (à tous les sens du terme) par deux interprètes qui semblent détenir une palette infinie de nuances, tout en offrant une immédiate présence physique, et la splendeur des paysages de l’île où l’auteur de Persona a tourné tant de ses films, et où il a vécu toute la fin de son existence.

 

De la situation de départ, Mia Hansen-Løve, qui a vécu et travaillé dans la maison de l’île où habitent ses personnages, parvient à faire de la ressource vive, toujours reconfigurée, d’une multitude d’enjeux dramatiques et de questions, qui ne cessent de se déployer.

Parmi ces enjeux et ces questions surgissent, s’intensifient, puis se fondent dans un mouvement plus ample, l’accès à la part d’ombre de l’autre, fût-il aimé et aimant, au secret des pulsions et des fantasmes, aux méandres de l’invention romanesque, et la relation ambivalente à la célébrité, celle de Bergman exemplairement, cinéaste austère transformé dans l’île où il est enterré en objet d’un tourisme culturel, certes haut de gamme dans ses références, mais qui n’échappe pas aux clichés et à la disneysation du monde.

Avec une grande finesse, Mia Hansen-Løve réussit à n’être ni méprisante pour qui vient communier avec une idée formatée du grand artiste, ni dupe de ses ressorts.

Du bon usage des figures tutélaires

La manière de filmer, en accompagnant Chris qui tour à tour adhère à la bergmanomania locale, se dérobe ou invente des chemins de traverse, suggère des possibilités pour chacun d’accorder de l’importance aux grandes figures tutélaires –dans ce cas, un cinéaste essentiel pour une cinéaste, Chris ou Mia H-L, comme ce pourrait être une autre référence pour quelqu’un ayant une activité différente– sans pour autant en devenir l’adorateur idolâtre ni le spécialiste obsessionnel.

Jouant avec humour et émotion des rapports affectifs à la fois du couple principal et de tous ceux, insulaires ou visiteurs, qui gravitent sur l’île, le film trouve naturellement un élan qui lui permet de se redécaler, de s’ouvrir encore davantage.

Amy (Mia Wasikowska) et Joseph (Anders Danielsen Lie), le couple de l’histoire dans l’histoire. | Films du Losange

Ainsi se met en place le récit du film qu’écrit Chris, autour d’une héroïne elle aussi réalisatrice, Amy (dont l’interprète a le même prénom que la réalisatrice, Mia Wasikowska) qui croise ou recroise un amour de jeunesse, réel ou fantasmé, Joseph (Anders Danielsen Lie), toujours à Fårö.

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