«Viens je t’emmène», film-galaxie au coin de la rue

Médéric (Jean-Charles Clichet) et Isadora (Noémie Lvovsky), tout près d’un plaisir prompt à se dérober.

Circulant en funambule entre drame et vaudeville, le nouveau long-métrage d’Alain Guiraudie invente une sarabande contemporaine où les angoisses, les désirs et les émotions multiplient les courts-circuits, à la fois ludiques et lucides.

Une ligne de crête, on sait ce que c’est. Mais plusieurs en même temps? Cela semble impossible, et pourtant voilà exactement où court et cabriole ce film tout d’audace et d’invention.

L’embêtant est que si on se met à faire la liste des abîmes qu’il côtoie et des obstacles qu’il escalade, on aplatit ce qui justement respire et se déplace sans cesse, pour rire et pour flipper, pour comprendre et pour essayer de faire avec tout ce à quoi on ne comprend rien.

Là, maintenant, ici, dans ce pays et sur ce continent, en cette année et en ce début de siècle.

Chaque personnage de Viens je t’emmène relève d’une définition possible –la prostituée Isadora, l’Arabe SDF Selim, Gérald le mari violent, la jeune femme noire révoltée Charlène, le voisin beauf Monsieur Coq, la cheffe d’entreprise moderne Florence…

Chaque personnage sauf ce drôle de corps qui ne cesse de courir de l’un·e à l’autre, dans les escaliers de son immeuble et dans les rues en pente de Clermont-Ferrand où vient d’avoir lieu un attentat islamiste. Oh là! Plus question de rire alors.

Mais si. Pas de la situation, mais de l’infernal bordel dans nos têtes à tous et toutes, avec ça et tout le reste. Tout le reste, qu’on appellera, faute de mieux, le désir. Ou peut-être le fantasme –qui peut être érotique, et de frayeur, et de repli sur soi, et de violence.

Ce drôle de corps, Médéric, jogger peu compétent et attifé de façon improbable, amoureux enthousiaste mais désorienté, citoyen aux engagements (de gauche) incertains, à demi chômeur, ni riche ni pauvre, ni jeune ni vieux, emporte dans son sillage les multiples versants du monde contemporain.

Et dès lors ce qui définissait chacun des personnages, sans disparaître, s’avère tout à fait partiel, instable, hanté de contradictions. Cela peut tourner en apéro partagé, en étreinte charnelle, en coup de poing dans la gueule, en caresse, en confidence, ou même en tir à balles réelles.

Un art du métissage

Alain Guiraudie cultive cet art du métissage généralisé depuis une trentaine d’années: à ses sept longs-métrages, parmi lesquels ces films repères que sont L’Inconnu du lac et Rester vertical, il faut dans son cas adjoindre comme propositions à part entière les courts et moyens métrages, depuis Les héros sont immortels en 1990, et notamment les fondateurs Ce vieux rêve qui bouge et Du soleil pour les gueux. Fort à propos, les œuvres complètes du cinéaste de Villefranche-de-Rouergue sont à (re)découvrir à la Cinémathèque française jusqu’au 5 mars.

Mi-témoin, mi-acteur, Médéric dans la cité. | Les Films du Losange

Ce métissage, Guiraudie l’a le plus souvent mis en œuvre dans des films-contes situés dans les campagnes de son Sud-Ouest natal revisitées par son regard mêlant féérie et politique, et avec un côté intemporel. Cette fois-ci, entièrement en ville et indubitablement à notre époque, il renouvelle les éléments de son récit sans avoir rien perdu de sa verve.

Comme un torrent

Sans qu’on puisse identifier tous les tenants et aboutissants, il est clair que la pandémie et les confinements sont aussi passés par là. En lieu et place d’un film déjà tourné mais bloqué par le Covid-19, Alain Guiraudie a publié l’été dernier un roman-fleuve, où figurent nombre des éléments de Viens je t’emmène. (…)

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