«La Nuit du 12», anatomie d’une enquête pour meurtre

Les deux enquêteurs (Bouli Lanners et Bastien Bouillon) à la recherche d’indices qui, loin de faire défaut, s’accumulent pour ne rien expliquer. 

Le nouveau film de Dominik Moll joue le jeu de l’enquête policière tout en explorant les façons d’habiter le monde, selon des règles devenues opaques et disjointes.

C’est la fête au commissariat central de Grenoble, la fête du départ à la retraite du chef de la brigade d’investigation de la police judiciaire. On est moins alors chez les flics que quelque part en France, parmi des gens «comme tout le monde». La France profonde comme on dit. Ou même l’Europe de l’Ouest; serait-on en Italie, en Espagne, en Allemagne ou Grande-Bretagne que la scène ne serait guère différente.

Hop, comme il se doit dans un film policier, aussitôt voici que surgit une affaire. Enfin non, d’abord on est à nouveau dans un coin de la France ordinaire, petite ville, quartier pavillonnaire, adolescente qui sort d’une soirée avec des copines et rentre chez elle en pleine nuit, codes aussitôt identifiables –l’habitat, les habits, le langage, l’usage compulsif du portable. Et puis l’agression, opaque, brutale, mortelle. Donc les flics y vont, c’est parti. Interrogatoires, procédures, aperçus de vies moins simples qu’on ne croyait…

Pour son septième long-métrage, Dominik Moll semble donc suivre les traces du genre très balisé du polar à la française, école Simenon, où l’enquête sur un crime est l’occasion d’une petite plongée dans des milieux représentatifs de la société. Et une des réussites du film tient à ce qu’il va respecter ce contrat implicite, tout en faisant bien davantage.

L’enquête est menée par Yohan Vivès, l’inspecteur principal très finement interprété par Bastien Bouillon, flanqué d’un flic vétéran (Bouli Lanners) qui supporte de plus en plus mal les noirceurs du monde et les effets limités de l’action policière contre le crime.

La Nuit du 12 revendique sa dimension descriptive, les codes et les rites en usage chez les flics, leurs méthodes d’investigation, autant d’éléments documentaires qui nourrissent tout autant la fiction que les récits et les actes des protagonistes –proches de la victime, suspects, autres policiers, juge d’instruction– auxquels a affaire l’enquêteur.

Les hommes qui tuent, les femmes qui meurent

Simultanément, les dialogues insistent sur un angle particulier: la dimension genrée des affaires criminelles, avec le nombre impressionnant de cas où ce sont des hommes qui tuent des femmes, et des hommes qui enquêtent sur ces meurtres.

Cette situation est à la fois réelle et très largement reproduite, ou même accrue dans les fictions, films ou romans. S’ajoute alors la question du fantasme de la femme victime. Autant qu’un constat des violences effectivement infligées aux femmes, le film interroge la place de la souffrance et de la mort des femmes comme spectacle, et la nature des jouissances que leur souffrance et leur mort procurent.

La copine de la victime (Pauline Serieys) ne sait pas qui a tué, mais a son idée sur ce qui a mené au crime. | Haut et court

Mais il s’agit là d’un discours, aussi légitime et nécessaire soit-il. À lui seul, il ne saurait faire du cinéma. La belle réussite de la proposition de Dominik Moll tient à une troisième dimension, qui parcourt tout son film de façon souterraine. En donnant forme à la mise en scène, elle vivifie aussi bien l’intrigue policière que le questionnement plus ample dont elle est l’occasion.

Elle concerne, de manière d’autant plus efficace qu’elle est discrète, le fractionnement des récits, des représentations et des façons d’exister, de se voir et de voir les autres. Chaque personnage du film a les siennes, et le côté Sisyphe de l’enquête que ne supporte plus le personnage de Bouli Lanners tient en grande partie à cette réalité désarticulée.

Chacun a ses raisons, hélas

Seule certitude, un crime atroce a été commis cette nuit-là. En cherchant à élucider ce qui s’est passé, ce n’est pas que les flics ne trouvent rien, au contraire. Ils trouvent des gens, des faits, des indices, des mobiles. Mais rien ne raccorde à rien. (…)

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