«Les Banshees d’Inisherin», celui par qui le refus arrive

Le face-à-face entre Pádraic (Colin Farell) et Colm (Brendan Gleeson), qui furent les meilleurs amis du monde.

Sur une île irlandaise, Martin McDonagh déploie une fable ironique et cruelle, aussi troublante que vigoureuse.

«Tu ne m’as rien fait mais je ne t’aime plus.» La sentence est tombée comme un roc.

On était dans un monde connu. Connu des personnages, ces habitants d’une petite île irlandaise, à la vie réglée par des coutumes et des relations qui semblaient immuables.

Et un monde connu des spectateurs, avec ces signes très reconnaissables de la ruralité traditionnelle, entre beautés et duretés d’une nature omniprésente, entre force d’une communauté et conformisme étouffant d’un univers refermé sur lui-même. En Irlande comme n’importe où, au début du XXe siècle comme en bien d’autres temps.

La phrase a ouvert une faille, qui ne fera que s’agrandir. On est entré dans l’inconnu, l’imprévisible, l’absence de repère.

Le quatrième long-métrage de Martin McDonagh est une fable, qui n’est pas par hasard située au moment de la guerre civile faisant rage de l’autre côté du bras de mer qui sépare l’Irlande d’Inisherin, îlot de fiction où jamais on n’en parle, mais dont on entend au loin les échos.

À Inisherin, le monde tournait rond avec ses habitudes, parmi lesquelles l’amitié inusable entre deux hommes, le paysan Pádraic et son aîné le violoniste et compositeur Colm, amitié scandée par leurs retrouvailles quotidiennes au pub.

Jusqu’au jour où, sans raison connue, Colm n’a plus voulu voir Pádraic. Ce qui s’en suivit, pour eux deux et tout le village, constitue le récit des Banshees d’Inisherin. Récit cruel et humoristique –un humour fort sombre– qui, heureusement, ne se résume pas à son scénario.

Un conflit très incarné

La présence physique des interprètes, y compris les seconds rôles autour de Pádraic et Colm, la manière dont McDonagh les filme et filme la campagne irlandaise aussi bien que les intérieurs, tendent à rendre concret, matériel, physiquement présent jusque dans ses extrêmes le conflit entre celui qui dit non et celui qui ne l’accepte pas.

À l’opposé du précédent film de ce réalisateur, Three Billboards, entièrement aux côtés de son héroïne interprétée par Frances McDormand, une grande part de la mise en scène consiste cette fois à garder un certain équilibre entre les positions des deux hommes.

Si le brave Pádraic représente une forme d’évidence, de bon sens auquel les autres adhèrent spontanément, le choix de Colm et ses conséquences renvoient à ce qui ne peut ni ne doit être entièrement exclu. Son choix renvoie à la possibilité de rompre avec un ordre établi, à l’hypothèse d’être porté par quelque chose de plus grand que son quotidien –musicien, il veut en finir avec la routine pour mieux se consacrer à ce qu’il compose et interprète. Et, en outre, il ne veut pas avoir à s’expliquer.

Insidieusement, le geste de Colm déplace la vision idyllique du petit monde traditionnel auquel on croyait d’abord avoir affaire –ce que redouble, comme un contrechant en mineur, le cheminement de la sœur de Pádraic, elle aussi consciente des limites du monde dans lequel elle vit

Dès lors, ce n’est plus seulement Pádraic et les villageois que Colm force à sortir de leur routine, en étant prêt à ce que cela entraîne des réactions violentes. Le spectateur aussi est incité à réinterroger ses repères, qu’il s’agisse des clichés sur la campagne ou sur les rapports humains, individuels et collectifs.

Et, s’il est cinéphile, il pourra aussi percevoir une mise en question de L’Homme tranquille de John Ford, tourné dans un village irlandais bien réel, dont le nom, Innisfree, évoque celui du village de fiction du nouveau film, et dont on retrouve bien des situations, mais traitées cette fois loin des stéréotypes consensuels (et machistes) du film de 1952. (…)

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