L’irreprésentable et incandescent portrait d’une révolution abandonnée.
Entre polar et chronique poétique, conte fantasmagorique et constat des dérives et reniements après le soulèvement démocratique tunisien, le film de Youssef Chebbi ne cesse de se réinventer.
D’emblée, deux forces sont mises en concurrence par le film. L’une, très reconnaissable, vient du polar «de société», avec à la fois un tandem de flics –un vieux renard et une jeune femme– et les motifs de la corruption comme des conflits intimes et familiaux.
L’autre, insolite et impressionnante, est un «personnage» rarement filmé de manière aussi puissante: un quartier. Plus précisément un immense chantier, quartier de luxe prévu dans les faubourgs de Tunis sous la dictature de Ben Ali, abandonné à la révolution, et qui reprend peu à peu.
Les symboliques sociales et politiques liées à ces ensembles de blocs de béton verticaux, d’ébauches de luxueuses villas et d’artères promises aux voitures de luxe et hantées par les SDF, les chiens et les herbes folles, sont puissantes.
Pourtant, l’art de Youssef Chebbi tient d’abord à sa façon de porter attention aux matières, à la dureté des angles et aux contrastes des lumières découpées par une architecture aussi brutale que la société dont elle est le produit. Les nombreux plans dépourvus de présence humaine visible, et pourtant habités –par qui? par quoi?– offrent à la mise en scène une respiration plus ample et plus profonde.
Celle-ci convoque silencieusement une autre question, remarquablement suggérée: qui observe? De qui ou quoi la caméra est-elle l’œil? (…)