Lizzie (Michelle Williams) parmi les œuvres de sa voisine et propriétaire Jo.
Dans le sillage d’une artiste qui lui ressemble, Kelly Reichardt radicalise en douceur la proposition d’un cinéma nourri d’une égale considération pour tout ce qui fait exister un environnement.
C’était l’an dernier au Festival de Cannes, une des dernières séances de la compétition officielle. Très vite après que la lumière s’est éteinte et que l’écran s’est allumé est venu le moment où vous traverse l’esprit que ce film est trop beau, trop juste, trop délicatement précis pour Cannes.
Dans le contexte de cette manifestation, les œuvres qui refusent obstinément les effets de manche et les numéros tape-à-l’œil sont d’emblée handicapées (et on a vu depuis la Palme d’or couronner son exacte antithèse). Le huitième film de Kelly Reichardt affirme de tels refus avec une tranquille assurance.
Cela le condamne-t-il à disparaître, balayé par le flux? C’est tout le contraire: un an plus tard, il s’avère avoir laissé dans la mémoire une empreinte à la fois profonde et légère, quelque chose d’atmosphérique et de vital.
Autoportrait à peine déplacé, Showing Up raconte quelques jours de la vie de Lizzie, artiste céramiste qui vit et travaille parmi d’autres artistes dans une ville de province américaine –Portland où, en effet, vit et travaille aussi la cinéaste.
Après Wendy et Lucy, La Dernière Piste et Certaines Femmes, celle-ci y retrouve dans le rôle principal Michelle Williams, impressionnante de retenue grêlée de troubles et de nervosités. Elle aussi, à sa manière, renouvelle l’idée même qu’on se fait du jeu d’acteur ou d’actrice.
Et sa présence contribue à distiller la sensation d’une continuité dans les réalisations successives de l’autrice, malgré la différence évidente entre les contextes et les ressorts dramatiques apparents de chaque film.
Pas un sport de combat
Alors qu’elle prépare une exposition de son travail, Lizzie vit mal ses relations avec son père, avec sa mère, avec son frère, avec sa voisine, et même avec son chat.
Aucune explication particulière à ce mal-être, mais un sentiment d’urgences contradictoires, de fragilités et d’inquiétudes qui concernent tout autant ses émotions personnelles, ses besoins matériels ou sa création artistique.
Le déploiement du film ressemble dès lors à ces œuvres en réseau que compose l’artiste plasticienne new-yorkaise Michelle Segre. Kelly Reichardt l’avait filmée en préparant Showing Up, ce qui donna naissance à un court-métrage qui fut présenté au Centre Pompidou en 2021 lors du grand hommage rendu à la cinéaste.
Certaines de ces œuvres figurent dans le film, elles sont attribuées à Jo, qui est à la fois elle aussi artiste, la voisine et la propriétaire de Lizzie, pas pressée de faire réparer le chauffe-eau.
Une idée de l’artiste plus proche de l’artisanat que du génie (ou du champion, ou du vainqueur). | Diaphana
Plus proche de l’artisane que de l’artiste en majesté, Lizzie fait écho à l’approche de la mise en scène d’une réalisatrice qui ne cesse de confirmer qu’elle est une des figures majeures du cinéma contemporain, mais en déjouant tous les codes de la domination et de l’affirmation du pouvoir.
Aussi ténus soient les fils narratifs qui tissent Showing Up, dans le film les êtres et les personnes existent d’une présence rarement ressentie, présence qui en fait une expérience aussi forte que son argument narratif peut paraître mince. Parce que le cinéma n’est pas, ou en tout cas n’a pas obligation d’être un sport de combat.
Défaire le point de vue
Encore l’enjeu d’un tel projet de cinéma va-t-il bien au-delà de la seule mise en acte de ce «pacifisme» de la mise en scène, qui n’empêche évidemment pas d’assumer des points de vue et des engagements. Le cinéma de Kelly Reichardt, et tout particulièrement Showing Up, déplace et questionne ces mots qui paraissent évidents, «point de vue», «engagement». (…)