Festival de Cannes, jour 1: un film d’ouverture peut en cacher un autre

Bulle Ogier dans L’Amour fou de Jacques Rivette

Enrubanné de polémiques, «Jeanne du Barry» –de, avec et pour Maïwenn– a attiré toute la lumière pour le lancement du 76e Festival de Cannes. Mais ce n’était pas le seul film du premier jour sur la Croisette.

Il y avait une certaine ironie, voire un risque de pléonasme, à présenter Jeanne du Barry en ouverture du Festival de Cannes 2023 (du 16 au 27 mai), tant le festival ressemble à bien des égards à cette «société de cour» dontle sociologue Norbert Elias a dressé le portrait et explicité les mécanismes et les effets sur la société toute entière.

Mais le parallèle tourne court, dès lors que le film ne retient qu’une dimension superficielle du Versailles des dernières années du roi Louis XV. À l’écran, on n’en verra que les conformismes caricaturaux, qui assurément en faisaient partie, sans la définir entièrement. C’est qu’il ne s’agit que d’en faire un terrain approprié pour célébrer l’héroïne qui se met elle-même en scène avec une conquérante assurance.

Frasques aguicheuses

Après un prologue sur l’enfance et l’adolescence de Jeanne Bécu, d’un réalisme de conte de fées, Maïwenn filmée par Maïwenn entre en scène. Sa relation avec son noble concubin, libertin et proxénète, ce comte du Barry qui sera finalement obligé de l’épouser et de lui donner son nom et son titre, est surtout l’occasion de lui confectionner vite fait un à-côté sentimental, dédié au jeune fils de son amant.

Qu’il soit clair ainsi que celle qui s’apprête à passer d’un sens à l’autre du mot «courtisane» avait aussi un cœur. Elle ne manquera pas non plus ensuite de cocher également la case «bonne avec les personnes racisées» lorsque, plus tard, on lui offrira un jeune esclave noir.

Mais à ce moment la carrière de Jeanne sera bien avancée, malgré les intrigues et les crispations que suscite sa présence dans le lit du souverain et sous les ors de la monarchie absolue.

 

De présentation transgressive dans le décorum de la galerie des Glaces en coup de Trafalgar vestimentaire, elle fraie son chemin grâce à la protection de ce roi, dont il est supposé qu’il goûte ses talents érotiques de femme expérimentée (pourquoi pas?), et surtout son anticonformisme utilisé comme moyen de conquête, ce qui est nettement moins assuré.

Sauf que, bien sûr, la conquête dont il s’agit en réalité n’est pas celle de Louis XV mais celle du public. Et tout est agencé pour mettre en valeur les multiples attraits de l’héroïne.

C’est si vrai qu’à aucun moment n’est esquissé le moindre indice concernant ce que pourrait bien éprouver le roi pour elle, et pourquoi. L’amour inconditionnel du souverain, contre sa famille et ses conseillers, est posé comme acquis, permettant à «Maïwenn du Barry» de déployer tranquillement ses frasques aguicheuses.

L’idée est sans doute qu’il va de soi de tomber amoureux de Maïwenn dès qu’on la rencontre, tout roi de France et grand praticien des plaisirs physiques soit-on. La cause est donnée comme gagnée d’avance, face aux ridicules et vilénies de la cour, le sujet étant, à l’usage des spectateurs, ni de conter Versailles ni comprendre une relation, mais de se donner des airs de comtesse rebelle à très bon compte.

Capture d’écran 2023-05-16 à 11.13.35

Quand Maïwenn du Barry fait sa révérence.

Dans l’univers compassé et répressif où elle a surgi, Maïwenn se la joue en grande pourfendeuse des conventions, quasiment en héroïne révolutionnaire. Mais si l’héroïne du film est disruptive, c’est comme Emmanuel Macron, ou si elle est décomplexée, c’est comme Nicolas Sarkozy: au seul service de ses appétits immédiats, dans une posture ultra-individualiste et fière de l’être, malgré les petits signes de connivence avec le politiquement correct.

Le cas Johnny Depp

Reste la présence, plutôt mystérieuse en ce qui concerne le film lui-même, de Johnny Depp dans le rôle du roi. L’acteur et cinéaste américain, qui malgré un usage très honorable du français ne peut dissimuler son accent, est une présence opaque, intrigante.

«Could someone tell me what the fuck I am doing here?» (royale pensée). | Why Not Productions / Le Pacte

Comme si toute sa raison d’être là se tenait entièrement ailleurs, dans la volonté d’exhiber une tête d’affiche internationale, et peut-être le goût de la polémique que sa présence ne manquera pas de susciter, alors qu’il fait l’objet d’une intense campagne hostile de la part des soutiens féministes de son ex-épouse Amber Heard, à la suite de leurs conflits privés et judiciaires. (…)

LIRE LA SUITE

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s