Pourquoi ce qu’a dit Justine Triet à Cannes est légitime

Justine Triet en direct au moment de son discours de lauréate/capture d’écran

C’est bien en cinéaste que s’est exprimée la réalisatrice d’«Anatomie d’une chute» au moment de recevoir sa Palme d’or.

Chacune et chacun peut avoir sa propre opinion à propos de celles exprimées par Justine Triet au moment de recevoir la Palme d’or pour Anatomie d’une chute. Mais personne ne devrait lui contester le droit de dire ce qu’elle a dit. Parce qu’elle l’a dit depuis sa place de cinéaste, ce qui est évidemment légitime sur la scène d’un grand festival de cinéma.

Ce «discours» qui fait à présent débat comportait trois éléments, et tous les trois relèvent de ce pour quoi elle se trouvait à ce moment sur scène, devant les micros et caméras. Avec concision, la réalisatrice a en effet abordé deux thèmes, apparemment distincts. D’une part, elle a parlé du mouvement contre la réforme des retraites. Mais contrairement à ce qui été beaucoup répété, elle n’a rien dit de la réforme en tant que tel.

Elle a condamné le fait qu’une «contestation historique, extrêmement puissante, unanime, de la réforme des retraites» ait «été niée, réprimée de façon choquante». Nul doute qu’elle soit contre cette réforme – comme une large majorité des Français(e)s – mais son sujet ici, c’est la tentative d’invisibilisation de ce rejet, la négation, le «passage à autre chose» voulu et orchestré par le président de la République.

Le discours de Justine Triet, c’est l’adresse d’une metteuse en scène à un metteur en scène qui s’appelle Emmanuel Macron. Il est légitime que des personnes dont le travail est d’organiser des éléments de récit et de représentation, en particulier une personne qui vient d’être récompensée pour avoir fait cela, commentent la manière dont une autre personne fait la même chose, et d’une manière qu’elle considère inappropriée. Le sens de ce passage est simplement : les cents jours sont un mauvais film, qui ne marche.

Ensuite, Justine Triet a critiqué ce qui est en train de se passer dans l’organisation du cinéma en France. Contrairement à ce que la ministre de la culture a feint d’avoir entendu, elle n’a pas attaqué le système de soutien public, mais au contraire sa mise en danger par des réformes et des projets en cours.

Et contrairement à ce que la plupart des réactions hostiles à son discours affirment, elle ne s’est pas comportée en enfant gâté ou en ingrate, mais a au contraire proclamé sa reconnaissance pour l’ensemble des dispositifs qu’on résume, de manière plus ou moins appropriée par la formule d’exception culturelle, «sans laquelle je ne serai pas là devant vous».

Et qui peut dire qu’une personne qui travaille dans un secteur, le cinéma en l’occurrence, n’est pas légitime pour s’exprimer sur l’organisation de ce secteur et ses évolutions?

Et enfin, Justine Triet a lié les deux sujets, la tentative du pouvoir de balayer sous la moquette les oppositions à la réforme des retraites et les modifications en cours du système public accompagnant le cinéma.

C’est à dire qu’elle a, exactement comme dans son film, opéré une composition, qui montre comment fonctionnent ensemble des processus apparemment disjoints, ou relevant de différents enjeux. Soit, précisément, ce que fait, ce qu’a à faire la mise en scène et pour quoi elle venait de recevoir la Palme.

9 réflexions au sujet de « Pourquoi ce qu’a dit Justine Triet à Cannes est légitime »

  1. Oui elle peut et doit s’exprimer. Il semble pourtant que ce soit plus un avis citoyen qu’un avis artistique . PourQuoi ça choque. Une incongruité sans doute et le fait que nous ne sommes pas neo libéral et que la répression n’est pas celle de l’Iran et même désobligeant pour la France. Quant au débat sur la rentabilité c’est depuis 50 ans que nous l’avons et la télévision devrait bien réfléchir un peu mieux

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  2. Cher Jean-Michel,

    Ah, très bien ! Nous avions trouvé « déplacée » son intervention, à chaud, mais il faut sans doute mettre sur le compte de l’émotion son discours un peu embrouillé. En fait, elle aurait dû dire ce que tu as ré-écrit, ça aurait tout de suite été beaucoup plus clair et plus convaincant.

    Reste à présent à faire connaître et détailler les noirs desseins macronistes en la matière. Pour ceux qui savent, ça ne devrait pas être trop difficile.

    Reste aussi à se désoler rituellement des réactions, depuis Mélenchon se précipitant et embarquant quasiment Jean Zay dans la France Insoumise, alors que c’était un rad-soc bon teint (et l’un de nos phares dans la tempête) jusqu’à la ministre décelant de l’idéologie d’extrême-gauche, en passant par Kasbarian réclamant la suppression des aides à ceux qui ne pensent pas bien. De ce côté-là, tout est normal, hélas.

    Bises légitimes,

    Llx

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  3. Jean Michel , moi je n’ai pas été choquée par son discours qui était aussi clair que votre explication . Ce qui m’a choquée c’est de voir qu’une ministre de la Culture de mauvaise foi lui prête des intentions et propos qu’elle n’a nullement tenus…et de constater que tant de personnes n’aient pas compris ses reflexions ..qui vous obligent à les leur expliquer . Merci pour eux pour moi je l’ai entendu et compris comme vous.

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  4. 1ère absurdité de Justine Triet : la contestation de la réforme des retraites n’est pas « unanime », 30% des français lui sont favorables, probablement en ayant davantage lu, réfléchi qu’elle et en ayant éventuellement travaillé sur la problématique, ce qui est mon cas.

    2ème absurdité : la contestation n’a pas été « niée et réprimée de façon choquante par un pouvoir dominateur ». Tous ceux qui ont voulu manifesté ont pu le faire. Et si toutes les oppositions – majoritaires – avaient voté la motion de censure, le projet aurait été abandonné. Le processus démocratique constitutionnel a été respecté.

    3ème absurdité : Emmanuel Macron ne fait évidemment pas le même métier qu’elle. Il est élu pour prendre des décisions dans l’intérêt général, parfois contre l’avis des français. La façon dont il communique est secondaire.

    4ème absurdité : Je ne suis pas compétent mais il me semble que la majorité des professionnels du secteur reconnaissent que le cinéma français est – aujourd’hui encore – largement aidé, bien plus qu’à l’étranger. Sa critique du libéralisme ne tient pas.

    « Composer » un assemblage des 2 thèmes me semble non pertinent. En revanche Justine Triet a imposé à tous les spectateurs et téléspectateurs une opinion qui n’est que la sienne, dans un débat franco-français à mille lieux de leurs attentes ce soir là, je pense notamment aux étrangers, non concernés. La scène du Palais des Festivals n’est pas une tribune politique, pas plus que le Stade de France, où les spectateurs ont refusé de siffler la réforme, comme les syndicats les y encourageaient. Ils étaient là uniquement pour voir la finale de la Coupe de France de football. Que Justine Triet fasse un film sur la pénibilité des fins de carrière dans certains métiers, il parait qu’elle a le talent pour le faire.

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    1. on peut voir ça comme ça, on peut également s’inquiéter de la « méthode » utilisée par 1 seul homme pour imposer au forceps une réforme idéologique, justifiée par un besoin d’économie de 12 milliards par an, alors qu’on en trouve plus de 400 (milliards) facilement pour le budget militaire et qu’il s’en échappe 100 (milliards) environ par an vers les paradis fiscaux … elle a réussi à remettre un problème démocratique au centre des sujets médiatiques, dans la tradition subversive d’une manifestation artistique qui lui offrait une tribune inédite, comme l’avaient fait Godard, Truffaut, Malle, Lelouch en leur temps. Elle a sorti le microcosme de sa routine et de sa zone de confort, c’est déjà pas mal

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    2. @PAIN
      Vous avez raison sur un point, Justine Triet n’aurait pas du dire « unanimité » mais « très large majorité ». Pour le reste, il y a dans votre commentaire beaucoup de mépris envers une cinéaste, qui selon vous ne serait pas capable de comprendre le texte de la réforme – peut-être ne sait-elle même pas lire. On suppose que d’autres idiots, comme Laurent Berger, Jacques Attali, des dizaines de professeurs d’économie, etc., n’ont eux aussi rien compris à la loi.
      Nous sommes dotés d’un président qui consacre beaucoup d’énergie à mettre en scène ce qu’il fait, et aussi ce qu’il ne fait pas, d’une manière inédite en terme d’écart. Mais sans doute n’avez vous pas tort, en ce sens que l’exercice du pouvoir par Macron relève davantage d’un talent de bateleur, ou de joueur de bonneteau, alors que Justine Triet mobilise dans son films des ressources de mise en scène revendiquées comme telles.
      Votre 4e point vous met dans la situation que vous dénoncez sans preuve à l’encontre de Justine Triet précédemment: vous n’avez ni lu ni écouté ce qu’elle a dit, qui est le contraire de ce dont vous l’accusez -en quoi vous êtes à l’unisson de la majorité de ses détracteurs, dont des ministres, un maire, etc. Elle a avec justesse et précision fait l’éloge du dispositif public d’accompagnement du cinéma en France, dispositif aujourd’hui menacé par des réformes en cours. Elle sait de quoi elle parle, pas vous.

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      1. Pour répondre à vos remarques, qui tombent plutôt à plat (mais peut-on supporter d’être contredit sur sa propre page ?), je suis prêt à discuter sur le fond de cette réforme, et non sur des idéologies ou des bons sentiments, avec vous-même ou Justine Triet. Prévoyez une bonne demi journée, j’ai beaucoup à dire. Et naturellement il existe de nombreux économistes et journalistes économiques favorables aux principes de la réforme : l’excellent Elie Cohen, mais aussi Pascal Perri, Jean-Marc Daniel …
        Comme tout le monde j’ai entendu Justine Triet rappeler qu’elle bénéficie du système de financement du cinéma. Je l’ai aussi entendue dénoncer un libéralisme menaçant qui, de l’avis de la plupart des anciens ministres de la culture, pas tous macronistes, n’a pour l’instant pas lieu d’être dans ce secteur. J’ai pris soin de préciser que je ne suis pas compétent, c’est sur leur avis que je m’appuie. Manifestement vous m’avez mal lu, c’est dommage.
        Quant à votre avis sur le président bateleur je vous le laisse. Je préfère continuer à faire pendant encore 4 ans le bilan objectif de son action, bien plus importante que sa communication. Avec ses bons et ses mauvais points, je ne fais partie ni de ses supporters ni de ses détracteurs inconditionnels.

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