«Chienne de rouge», sur les pistes du sang

Lorsque le sang paraît…

Le film de Yamina Zoutat fait résonner les puissances multiples d’une enquête poétique et documentaire, ludique et chaleureuse, personnelle et hantée par la grande histoire et les cauchemars du monde.

J’ai vécu la plus grande part de mon existence dans un siècle où le titre n’aurait pu renvoyer, dans toutes les langues du monde, qu’a un sens bien précis. «Chienne de rouge» se serait entendu comme une insulte à l’encontre d’une femme engagée pour la révolution anticapitaliste.

Il est besoin d’un petit temps pour comprendre que, des innombrables références et associations d’idées que mobilise le film, aucune n’a de lien avec cette signification.

Cela mérite attention du fait de l’étendue des associations libres qu’opère le film autour de son motif central, le sang… jusqu’à une explication tout à fait littérale et légitime, selon laquelle on appelle «chien» ou «chienne de rouge» des chiens de chasse dressés à suivre la piste d’animaux blessés grâce à la traînée de sang.

C’est à cet animal que se compare la réalisatrice, qui explique s’être lancée dans une sorte de jeu de piste sur les traces, infiniment multiples, du sang dans nos existences, présence physique invisible et visible, sang menstruel et sang des victimes de crimes et de guerres, sang des liens familiaux, des appartenances identitaires et de tant d’autres métaphores aux effets si concrets, souvent tragiques, parfois merveilleux.

À cette manière de se mettre elle-même au centre du projet répond qu’on s’autorise de mentionner ici ce qu’à titre personnel on entend d’abord en entrant dans son film, pour mieux apprécier ensuite la richesse, la poésie et les émotions multiples qui en émanent.

Le procès et l’opération

Chacune et chacun a affaire toute sa vie au sang, au moins le sien. Mais Yamina Zoutat a, si on peut dire, deux longueurs d’avance sur le commun des mortels en la matière. D’abord parce qu’elle fut, jeune chroniqueuse judiciaire à TF1 en 1999, amenée à couvrir le «procès du sang contaminé», formule foireuse qui masque que cette opération de passe-passe politicien n’était pas le procès du sang, mais de responsables et coupables qu’on aura tout fait pour protéger.

Elle qui avait recueilli les témoignages de victimes, dont des enfants sont morts, n’eut pas le droit d’en faire état, et son responsable à la rédaction lui avait en outre interdit de montrer du sang à l’image. Près d’un quart de siècle plus tard, le film est, entre autres, une revanche sur cet interdit.

Dans l’ombre, des jeunes filles en sang. | Shellac

Plus tard, elle apprendrait qu’elle-même avait failli mourir à la naissance du fait des rhésus sanguins incompatibles de ses parents, et fut sauvée grâce à une transfusion complète, que les médecins appellent «le grand échange». À ne pas confondre avec «le grand remplacement» de fascistoïde résonance, à quoi on entend bien que cette fille d’un Algérien et d’une Italienne est particulièrement sensible.

Et puisque le funeste droit du sang est de nouveau dans les artères de l’État français, en commençant par Mayotte, les nombreuses modalités de nos rapports à ce liquide vital, qui l’est d’autant mieux qu’on ne le voit pas, et ses infinies évocations nourrissent le mouvement multiple et puissant qui irrigue tout le film.

Les massacres et l’amie

Aux côtés du chauffeur qui transporte des poches de plasma dans les rues de Paris, de Nosferatu à un chevreuil éviscéré, de la transfusion salvatrice d’une patiente atteinte d’un lymphome aux entraînements hyper réalistes de réponses aux crimes de masse mis en place après l’attentat du Bataclan par les hôpitaux, c’est bien un sens cinématographique qui porte en avant la circulation interne du film, et ses pulsations. (…)

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