Cannes 2025, jour 10: «Jeunes mères» sensible et précis, songes chinois et chansons anciennes

Perla (Lucie Laruelle), Robin (Günter Duret) et leur bébé, qu’elle et il ne voient absolument pas de la même manière.

Le film des frères Dardenne est sans conteste l’œuvre majeure de cette avant-dernière journée. Mais «Résurrection» de Bi Gan et «The History of Sound» d’Oliver Hermanus méritaient aussi une attention.

«Jeunes mères» de Jean-Pierre et Luc Dardenne

Aussi inévitable que regrettable est l’effet de répétition, voire d’éternel retour concernant la présence des frères belges au Festival de Cannes. Leur film, comme tout autre, mérite pourtant d’être regardé pour lui-même.

Et, de manière singulière, cet «effet Dardenne» (angle humaniste et mise en scène empathique), qui tend à se reproduire à l’intérieur même de Jeunes mères, y est magnifiquement déjoué par leur treizième long-métrage, présenté en compétition officielle juste avant de sortir en salles ce vendredi 23 mai.

Très vite, on comprend ou croit comprendre à la fois l’enjeu du film – les trajectoires de plusieurs jeunes femmes hébergées dans un centre pour mères seules et en grande difficulté– et le dispositif qui l’organise et qui consiste à circuler de l’une à l’autre, au gré de croisements sur les lieux même, puis sans davantage de continuité autre que ce que leurs situations ont en commun.

Mais bien sûr, chacune de leur manière dont elles le vivent, le plus important tient aux liens d’attachement construits ou subis et où se matérialisent leurs espoirs, leurs désirs, leurs angoisses. Chacune d’elles, comme chaque film pour lui-même.

Trois générations sur la même image, avec l'angoisse de la répétition des mêmes erreurs, des mêmes drames. | Diaphana Distribution

Trois générations sur la même image, avec l’angoisse de la répétition des mêmes erreurs, des mêmes drames. | Diaphana Distribution

Par brefs épisodes centrés successivement sur quatre jeunes femmes, Jessica, Perla, Julie et Ariane (avec une apparition brève mais mémorable d’une cinquième, Naïma), Jeunes mères compose le récit collectif de situations prises en charge par ce qui s’appelle, en Belgique, une maison maternelle. La mise en scène, séquence par séquence et dans l’agencement de ces séquences entre elles, réussit un très beau projet, qui se déploie sur plusieurs échelles.

Il s’agit d’articuler les enjeux («de société», comme on dit) à la fois avec ce qui relève de la singularité de chaque personne, y compris les enfants, les proches, les soignantes. Et il s’agit de mettre en partage comment sont vus, perçus, éprouvés, des êtres, les bébés –nés, à naître, ou pas– et des avenirs. Vus, perçus: question de mise en scène à l’évidence.

Mais il s’agit aussi d’inscrire ces mêmes enjeux, individuels et à l’échelle du contexte particulier de celles prises en charge par les maisons maternelles, de ce qui concerne, au-delà de ce sujet et des conditions –économiques, médicales, administratives, psychologiques– dans lesquelles elles ont lieu, tout ce que ces conditions racontent ou cachent, d’une réalité bien plus vaste. Disons du monde contemporain, du moins en Europe de l’Ouest.

Et c’est à nouveau la mise en scène qui permet cette émouvante et fluide circulation entre ces différents degrés, avec un art impressionnant de l’attention, des gestes, des rythmes. Bien au-delà de tout discours que Jean-Pierre et Luc Dardenne sont évidemment capables d’énoncer, ce déploiement sensible et précis ne peut s’accomplir que grâce à ce qu’ils sont: des citoyens, des observateurs de la réalité, mais surtout des cinéastes.

Jeunes mères

De Jean-Pierre et Luc Dardenne
Avec Babette Verbeek, Elsa Houben, Janaïna Halloy Fokan, Lucie Laruelle, Samia Hilmi
Durée: 1h45
Sortie le 23 mai 2025

«The History of Sound» d’Oliver Hermanus et «Résurrection» de Bi Gan

Toujours parmi les films en compétition, on ne s’attardera pas ici sur le détestable Woman and Child de l’Iranien Saeed Roustaee, qui réussit à rendre odieux la totalité de ses protagonistes, tout en épargnant plutôt le système judiciaire en Iran. Dans la même sélection, on préfèrera porter attention à deux autres titres, qui représentent des idées apparemment opposées du cinéma, mais peut-être moins qu’il ne semblait. (…)

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