Il y a, il y eut une histoire d’amour sur la plage de Super Happy Forever et puis un flou mortel, pas comme on croirait.
À découvrir en salles dès ce mercredi 16 juillet, les films d’Izaki Lacuesta et Pol Rodríguez, de Maxime Jean-Baptiste et de Kohei Igarashi.
Une pensée compatissante pour l’amateur de cinéma qui essaie de trouver son chemin parmi les dix-huit sorties de cette semaine. Outre les œuvres inédites et à ne manquer sous aucun prétexte d’Edward Yang, on trouve parmi les nouveautés au moins trois films qui méritent d’attirer l’attention.
Deux d’entre eux –Segundo Premio et Kouté Vwa– ont en commun d’être construits autour de la musique et deux d’entre eux –Kouté Vwa et Super Happy Forever– concernent une disparition tragique, où les ressources de la mise en scène redonnent une place à la personne disparue parmi les vivants.
Et tous les trois, sans relever au sens usuel du genre fantastique, ont à voir avec la présence de l’invisible dans le visible. Chacun fait un usage singulier et modéré d’effets spéciaux non réalistes pour fondre ensemble le réel et l’imaginaire, afin de mieux rendre sensible une vérité. Du cinéma, quoi.
«Segundo Premio», d’Isaki Lacuesta et Pol Rodríguez
D’abord, on ne sait pas trop. Une information inscrite sur l’écran (Grenade, XXe siècle), un plan étrange où le sol paraît respirer, des images genre vidéo de vacances où un jeune couple fait du ski et se dispute, une nouvelle inscription sibylline («Ceci n’est pas un film sur la légende des planètes»). Puis, sur une terrasse au soleil, le jeune couple en pleine rupture amoureuse.

Pour la bassiste et le chanteur (Stéphanie Magnin et Daniel Ibáñez), pour un couple formé à l’adolescence, une et plusieurs histoires qui se terminent, d’autres qui commencent. | Capricci
Des images d’un concert de rock et la même jeune femme qui rompt avec le groupe, dont elle était la bassiste. Il faut un moment pour capter que le chanteur est le gars dont on l’a vue se séparer. Mais il ne faut pas longtemps pour s’apercevoir de la force mélodique et rebelle de leur musique.
On était plutôt avec la fille, on se retrouve avec le garçon, le chanteur, et bientôt sa relation avec le guitariste, ce sont eux les piliers du groupe. S’ensuit une véritable aventure, qui est surtout une aventure pour le spectateur, au gré des tribulations de ces deux types, ensemble ou séparément, à la scène, à la télé (où ils plantent un souk king size), à la maison, en studio, chez le dealer de l’un et lors de l’embauche de nouveaux membres du groupe, à Grenade et à New York.
Un des coréalisateurs du film, Isaki Lacuesta, est l’une des principales figures du si vivant et créatif cinéma espagnol contemporain, avec Jonás Trueba, Óliver Laxe, Helena Girón et Samuel M. Delgado, Julia de Castro et María Gisèle Royo, Víctor Iriarte, Itsaso Arana, etc. Sur son précédent film, le mémorable Un an, une nuit (2023), il eut comme assistant Pol Rodríguez qui l’a rejoint sur celui-ci. Film cosigné, Segundo Premio est donc un film de groupe.

Le groupe Los Planetas, en répétition et en crise, d’où naîtra leur musique, et d’autres façons d’exister, chacun et ensemble. | Capricci
Groupe musical, les Los Planetas dont le film suit la trajectoire, mais surtout, et de manière beaucoup plus singulière et inventive, élaboration d’un récit et plus encore d’une mise en scène à plusieurs centres, à plusieurs narrateurs, à plusieurs points de vue. En France, rares seront celles et ceux qui sauront d’emblée que Los Planetas ont été et sont toujours un des grands groupes de rock espagnols et dans ce cas sauront aussi que ce ne sont pas ses véritables membres que l’on voit à l’écran, même si c’est bien leur musique que l’on entend.
Vrai faux documentaire qui réinvente et décale l’héritage de Spinal Tap (1984), le film navigue entre les registres, s’envole sur des riffs de Stratocaster et des nuages de crack, tendu, furieux, caressant. L’incertitude entre un possible réalisme et une invention débridée ouvre l’espace à des situations loufoques, tragiques, hallucinées…
Autant de scènes qui, une par une, impressionnent et séduisent. Mais surtout Segundo Premio est la découverte de cette forme multiple et tonique qu’est le film dans son ensemble, paraissant toujours se déployer sur plusieurs niveaux et à plusieurs distances, jouant et déjouant le biopic, le film musical, la chronique de l’entrée dans un autre âge de la vie, ou dans un autre rapport à la réalité.
Hanté et rigolard, angoissé et intense, Segundo Premio avance dans plusieurs directions à la fois, retrouve qui semblait perdu(e), ne transige avec rien. Quand c’est fini, on n’est toujours pas très sûr de ce qu’on a vu, mais tout à fait certain de la richesse des émotions et des sensations éprouvées. Et, oui, Los Planetas (les vrais) sont de super musiciens.
«Kouté Vwa», de Maxime Jean-Baptiste
D’abord, pas de doute. L’émotion et la colère de la jeune femme qui prononce devant les habitants d’un quartier de Cayenne ce qui tient à la fois d’un éloge funèbre et d’un cri de révolte à propos de l’assassinat d’un jeune homme, dont on voit le portrait sur des affiches. Cette émotion et cette colère sont authentiques.
Mais ce garçon qui écoute et qui bientôt s’entraîne à jouer du tambour – l’activité pour laquelle était connu celui qui est mort–, est-ce un personnage de fiction? Et cette grand-mère, femme rayonnante d’énergie et de malice et pourtant traversée d’une souffrance terrible, est-ce une actrice?
Le film ne dira jamais entièrement comment sont assemblés les éléments qui renvoient à la réalité du meurtre de Lucas Diomar –jeune homme poignardé au sortir d’une fête en mars 2012 et dont la mort a soulevé une immense émotion en Guyane– et ce qui relève de la fiction.
Et cette incertitude, en partie levée au générique de fin où il apparaît que les principaux protagonistes jouent leur propre rôle, se fait ouverture à une liberté de raconter, de rendre sensibles la rage et l’angoisse devant la violence urbaine, mais aussi la richesse des relations au sein du quartier qu’explore l’adolescent, venu de France le temps de vacances chez sa grand-mère. (…)