« Jeunesse » navigue au plus juste

426728Jeunesse de Julien Samani, avec Kevin Azaïs, Jean-François Stevenin, Samir Guesmi. Durée : 1h23. Sortie le 7 septembre 2016.

Il a 20 ans. Il vit aujourd’hui, au Havre ou à Brest. Il n’a pas d’avenir, mais un rêve : embarquer. Il est fort et enfantin, naïf et rusé à la fois. Un capitaine sur le retour l’accepte sur un vieux rafiot, où, matelot indocile mais curieux, il cohabite avec un équipage cosmopolite. On l’appelle Zico.

Zico apprend, fait des erreurs, se fout en rogne. C’est parfois violent, à bord, et parfois très beau. C’est aussi épuisant, ou interminable. Des fois cela ressemble à son rêve, et souvent non. Et puis les vraies difficultés, tempête, incendie, avarie grave, arrivent.

Jeunesse raconte cela : une histoire simple. Un parcours initiatique, une aventure en mer. Et il le raconte simplement. Une poignée de protagonistes autour du personnage central, une succession de situations qui sont autant de révélateurs, crises et dangers, affections et changements.

C’est tout. C’est très bien ainsi.

Il n’est pas utile de savoir qu’il s’agit de l’adaptation de la nouvelle éponyme de Joseph Conrad, elle-même en grande partie autobiographique. Le récit se passait au début du 20e siècle, le film se passe au début du 21e siècle. Ce n’est pourtant pas une adaptation, encore moins une transposition contemporaine.

C’est très précisément le film du livre, et pour cette raison même il peut se voir sans rien savoir du texte. C’est prendre au sérieux l’essentiel de ce qui rendait l’histoire belle et intéressante, et s’y tenir.

Sans doute ce Zico va sur Facebook, et écoute de l’électro dans les boites de nuit quand le bateau fait escale. Sans doute les pratiques des armateurs d’aujourd’hui finiront pas s’immiscer dans le parcours du bateau, et du garçon.

Ça n’a à peu près aucune importance. L’essentiel est ailleurs, et c’est de cet essentiel que se soucie Julien Samani pour son premier long métrage de fiction, après avoir débuté comme documentariste.

Il a raison. Ses acteurs, le corps et le visage de Kevin Azaïs traité en héros, héros réel, pas toujours sympathique, mais porteur d’une force et d’une idée, le binôme contrasté du capitaine et du second (Stevenin et Guesmi) trainant chacun derrière lui une histoire, histoires dont il suffit de savoir qu’elles existent, et que ni l’une ni l’autre n’est ni simple ni heureuse, ces trois corps d’hommes différents et le navire, ferraille et rouille, accastillage et mythologie, matérialisent tout ce dont il est besoin.

En voyant Jeunesse, on se dit qu’ils sont rares, aujourd’hui, les films qui croient assez à leur personnage et au parcours qu’il accomplira pour se dispenser de toute affèterie, de toute ruse, de toute surenchère. Et c’est cela aussi qui, pour le spectateur, rend la traversée à bord du navire affrété par Julien Samani si heureuse.

Tarzan, perdu dans la jungle des pixels et des bons sentiments

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Tarzan de Peter Yates. Avec Alexander Skarsgård, Margot Robbie, Christoph Waltz, Samuelk S. Jackson. Durée: 1h50. Sortie le 6 juillet.

Souvenez-vous au début de Vertigo d’Alfred Hitchcock, cet étrange effet de double mouvement à l’intérieur de l’image (un zoom avant en même temps qu’un travelling arrière). C’est un peu l’impression que fait ce Tarzan sorti de la naphtaline par le studio Warner.

Zoom avant: pas question de reconduire les clichés racistes et colonialistes des films des années 1930-40 (en fait quelques 40 titres entre 1918 et 1970, sans compter les dessins animés). Cette fois, il sera clair que les blancs mettaient alors (en ces temps lointains) en coupe réglée le continent africain pour satisfaire leur avidité. Cette fois, les Africains seront des individus différenciés et doués de raison et de sentiments. Cette fois, la nature sauvage aura droit à une réhabilitation en règle.

 Y compris dans le registre du récit d’aventures et la licence romanesque qui l’accompagne, ce nouveau Tarzan revendique une forme accrue de réalisme, loin des stéréotypes fondateurs. Ceux-ci sont d’ailleurs gentiment moqués dans les dialogues: l’histoire se passe après les aventures narrées par Edgar Rice Burroughs et filmées par W.S. Van Dyke, Richard Thorpe et consorts. Les bons vieux «Moi Tarzan, toi Jane» sont moqués par les personnages afin d’établir une complicité avec des spectateurs actuels non dupes.

Mais, travelling arrière, la condition pour filmer cet univers où l’Afrique, ses habitants, ses prédateurs, sa nature seraient plus «réelles» tient d’abord à un usage immodéré de l’imagerie digitale.

La grande majorité des films sont aujourd’hui tournés en numérique, là n’est pas la question. Mais avec ce Tarzan, l’image semble tellement saturée de pixels –bien plus que de héros, de lions ou de singes– que le film y perd des points sur le terrain du «réalisme» ou disons plutôt de présence. En terme d’artificialité, on se retrouve en fait plus loin qu’à l’époque de «jungleries» de la MGM.

Les décors d’alors étaient en carton-pâte et les baobabs peints en studio, mais le carton pâte et le stuc étaient finalement plus réels que cette vilaine bouillie numérique où sont noyés uniformément le méchant, les papillons ravissants et les féroces croco. Les acrobaties de Johnny Weissmuller, c’était du chiqué sans doute, mais l’ex-champion de natation était bien là, ces muscles étaient les siens, ce corps était le sien, il avait accompli ces gestes –et il en restait une trace qui aidait à partager (un peu) la croyance dans l’histoire. (…)

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