Vincent Macaigne dans Médecin de nuit, thriller qui ne se laisse pas enfermer dans les règles du genre.
Le film noir d’Elie Wajeman aux côtés d’un toubib en maraude dans la nuit parisienne et l’histoire du musicien de hard rock confronté à la surdité filmée par Darius Marder laissent ouvertes les portes d’un cinéma inventif.
Parmi les sorties de ce mercredi 16 juin, deux films peuvent être rapprochés, pour des raisons superficielles, et d’autres autrement significatives.
Médecin de nuit d’Elie Wajeman et Sound of Metal de Darius Marder ont en commun de plonger dans un univers très contemporain peuplé de personnes en proie à des souffrances, et d’en faire à chaque fois une sorte de thriller. Ce peut être une coïncidence, ou le signe, pas très probant, des pourtant bien réels multiples malaises du monde actuel.
Mais ce qu’ils partagent de plus intéressant tient à ce qu’ils relèvent l’un et l’autre d’un genre, ou d’un sous-genre, dont ils réussissent à conserver les ressources propres sans s’y laisser enfermer.
Film d’action resserré en une seule nuit autour d’une figure qui a beaucoup servi au cinéma, le médecin confronté aux malheurs et aux vilénies du monde, ou portrait tendu d’un type combatif et fier faisant face au handicap sont deux schémas de scénario qui ne brillent pas par leur originalité.
La manière dont les réalisateurs, qui sont aussi dans chaque cas coscénariste du film, s’appuient sur les repères dramatiques existants et des interprétations de haute volée, pour ouvrir grand leur film à une complexité, à une incertitude, à des énergies qui n’ont rien d’univoques, signe la réussite du film français comme du film américain.
«Médecin de nuit»
D’un bout à l’autre de la nuit, d’une zone à l’autre du Paris de ceux qui vont mal –solitude, dépression, drogue et autres pathologies recensées par le Vidal– Mikaël circule au volant de sa voiture. Il n’arrête pas, d’appel en appel, de patient en patient, d’épouse en maîtresse, de sauvetage en combine, de naufragé en menace.
Ensemble, Elie Wajeman à la réalisation et Vincent Macaigne dans le rôle-titre composent et recomposent à toute vitesse les assemblages des multiples facettes de ce médecin qui est aussi à sa manière un malade. Malade de ça: être médecin de nuit, forme d’addiction qui peut s’avérer dangereuse, vertige où se fondent narcissisme du sauveteur et fantasme de l’aventurier, goût des marges et compétence efficace, pulsions érotiques, mégalomanie et compassion.
Sans jamais en rajouter, Macaigne à son meilleur fait circuler tous ces affects, toutes ses motivations avec une impressionnante puissance de suggestion, au cours de ces maraudes qui sont aussi l’occasion de rencontres impressionnantes, émouvantes, poétiques.
Au risque des rencontres
La mécanique du thriller autour d’un trafic de Subutex et des périls que font planer les gangsters qui le supervisent, le dilemme affectif entre les deux femmes qui incarnent pour Mikaël deux promesses d’existence contradictoires, les multiples brèves rencontres avec les naufragés des HLM et les épaves des trottoirs s’agencent et se réagencent pour offrir une plongée dans un monde très réel, très proche, et travaillé de l’intérieur par des ressorts fictionnels qui servent à mieux dire la vérité.
On se doute que réalisateur et acteur ont suivi des véritables médecins de nuit, pris connaissance des procédures, observé un grand nombre de situations et de gestes techniques.
On voit qu’ils cherchent constamment à tenir ensemble une version idéalisée, romanesque, du personnage du médecin de nuit et une version réaliste, quotidienne, de ce que font effectivement toutes les nuits les praticien·nes qui assument ces tâches, à Paris comme plus ou moins partout dans les grandes villes d’Europe de l’Ouest.
Sonia (Sara Giraudeau) et Mikaël (Vincent Macaigne) face aux lendemains incertains. | Diaphana
Pour tenir cette ligne à haute tension mais disponible aux aléas des rencontres, des apartés, des bifurcations, il faut une foi absolue dans les puissances du cinéma.
Il faut croire sans réserve dans sa capacité à faire vivre ensemble ces dimensions, sur toute la gamme de la fiction et du réalisme, en laissant de l’espace à chacun –à chaque spectateur– pour s’y frayer aussi son propre chemin, avoir ses propres impressions et opinions sur les agissements des uns et des autres.
À ces qualités s’en ajoute une autre, qui réinsuffle d’autres courants, d’autres vibrations à l’intérieur de ce film si habité: la présence des deux personnages féminins, et ce que font les deux actrices qui les incarnent.
Sara Giraudeau, toute en finesse intense où se mêlent force et fragilité, et Sarah Le Picard, impressionnante de fermeté charnelle et intelligente, déplacent par leur jeu plus encore que par leur rôle le centre de gravité du film, ou plutôt le démultiplient, de la plus réjouissante façon.
«Sound of Metal»
Corps tatoué, muscles bandés, regard halluciné, Ruben cogne «comme un sourd», selon l’expression en usage dans la langue française. Il est là pour ça, batteur du groupe de heavy metal qu’il forme avec sa compagne Lou, chanteuse et guitariste, avec qui il sillonne les routes secondaires des États-Unis dans la caravane qui leur sert de foyer, de refuge, d’un concert à l’autre. Un soir, Ruben entend mal. Le lendemain c’est pire. Le diagnostic du médecin est un couperet. (…)