Au milieu des danseurs du désert, Luis (Sergi López) et son fils (Bruno Núñez Arjona), au début d’une quête extrême.
Le nouveau film d’Óliver Laxe emballe le moteur du cinéma d’aventure pour un voyage à travers de multiples et troublantes formes de l’inconnu.
C’était le début du Festival de Cannes, ça commençait en douceur, tout allait bien, le soleil, les vedettes sur le tapis rouge, on s’échauffait. Et puis Sirāt a explosé. Trois mois et demi après la fin d’un festival cannois par ailleurs très riche en propositions extrêmement diverses, où le film d’Óliver Laxe a glané un judicieux Prix du jury, l’onde de choc reste aussi puissante. Ou même encore davantage.
Il y avait, il y a toujours l’histoire de Luis (Sergi López), ce père qui cherche sa fille parmi les participants à une rave dans le désert nord-africain et se joint à une caravane de marginaux qui, alors que la guerre se répand, fuient les militaires et cherchent la prochaine fête extrême.
Mais plus que les péripéties de leur odyssée, ou même les figures pourtant mémorables de ce petit groupe de pirates punk à bord de leurs camions surdimensionnés, ce sont les ondes émotionnelles qu’émet le film comme totalité qui laissent une empreinte durable.
La «totalité» ne désigne pas tant ici Sirāt dans sa continuité que les multiples sensations et imaginations que chaque instant, chaque situation suscite. Les corps, les lieux, la musique, les événements étranges, délicats ou d’une grande brutalité interagissent constamment. Ils produisent des effets qui ont le mérite rarissime d’être à la fois très puissants et très ouverts sur ce que chacun·e en fera.
D’ordinaire, les films carburant à la puissance travaillent à des formes de domination de leurs spectateurs (qui le plus souvent ne demandent que ça). Rien de tel ici.

Fêtards, flibustiers, philosophes, ils sillonnent le désert au nom d’une idée de l’existence, de la vie et, aussi, de la mort. | Pyramide Distribution
Sur une ligne de crête entre grand spectacle et méditation
Comme dans ses trois films précédents, dont deux déjà tournés dans le désert marocain, le quasi-documentaire Vous êtes tous capitaines (2010) et le poème visuel empreint de mysticisme Mimosas, la voie de l’Atlas (2016), mais aussi la chronique inspirée d’un monde livré aux brasiers du réchauffement climatique et de la haine de l’autre, Viendra le feu (2019), le cinéaste franco-espagnol invente un cinéma sur une ligne de crête entre grand spectacle et méditation.
Pour Sirāt, Óliver Laxe semble avoir filmé comme ses personnages dansent, au-delà de la fatigue et de la lucidité, dans une sorte de transgression illuminée par une quête extrêmement physique, polarisée par l’appel d’une forme de dépassement de soi, de pari sur une autre harmonie.
Aux confins de rapports au monde archaïques et de formes ultra contemporaines, la composition des images acquiert une fécondité que matérialise très vite l’impressionnante symétrie des montagnes rouges de l’Atlas et des parois noires des murs d’enceintes qui attendent les danseurs. Bientôt, le déroulement de la rave fusionne ce que cette pratique a d’actuel et les échos d’antiques rituels, dont elle devient la réapparition mutante. (…)