Cinéma couture

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Ce sont deux beaux films sortis le même jour (mercredi dernier, 6 octobre), sur les écrans de France – enfin quelques écrans… Sinon ils n’ont en apparence vraiment rien en commun. Ou alors d’une manière vraiment superficielle. Le superficiel, au cinéma, il n’y a que ça qui compte : une caméra, ça n’enregistre que ce qui se trouve à la surface.  Depuis 115 ans, le cinéma nous apprend que rien n’est moins anodin que la surface, mais on est loin d’en avoir fini avec tous les excités de la profondeur et les innombrables adeptes de toutes les transcendances.

Donc ces deux films, Petit Tailleur de Louis Garrel et Entre nos mains de Mariana Otero. Ce qu’ils ont en commun ? Si vous n’avez pas deviné, attendez encore un peu s’il vous plait. Parlons d’abord un peu de l’un et l’autre.

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Léa Seydoux et Arthur Igual dans Petit Tailleur de Louis Garrel

Garrel, Louis. Alors lui, Louis, il a tout pour énerver. Déjà qu’il était jeune, beau, intelligent, talentueux et reconnu comme tel ! Déjà qu’il est issu du monde du cinéma et ne s’en cache même pas. Voilà que non content d’être un acteur fêté et une « icône » (comme on dit, on dit n’importe quoi, sauf qu’il n’y a pas d’autre mot) masculine, il réalise un film. Et ce film fait exactement tout ce qu’il faut pour subir moqueries et médisances : noir et blanc, spleen du jeune adulte urbain, références revendiquées à la Nouvelle Vague au grand complet. Le résultat : 43 minutes (je vous demande un peu !), avec des acteurs à tomber de beauté et de justesse – encore une provocation. Ce garçon-là cherche des noises.

Ou le contraire. Il cherche à avancer avec qui il est, d’où il vient, ce (et ceux) qu’il aime. Son film, au confluent d’une énergie adolescente et d’une inquiétude qui n’oublie ni l’Histoire ni les histoires, montre à chaque plan qu’il n’y a rien de daté, rien de poussiéreux dans la reprise de gestes de mise en scène qui, s’ils ne sont plus nouveaux, ne sont pas moins modernes – il faut être très paresseux ou très malhonnête pour confondre les deux, Stroheim et Murnau ont été modernes 50 ans avant Godard ou Pialat, et ça n’a pas rendu ceux-là moins porteurs de la réinvention, pour eux, pour leur monde et leur temps, de tout le langage du cinéma. Réinvention éprouvée, vécue, pour être un peu plus près de leur existence à eux, à nous – de n’importe quel âge ou milieu. Violemment antinaturaliste parce que du côté de la vérité, voilà Petit Tailleur, histoire d’un jeune acteur qui doit choisir entre le destin que lui trace un ainé qu’il aime et respecte (son patron dans l’atelier de confection où il gagne sa vie), et l’appel d’autres désirs, une fille (Léa Seydoux !), la scène, la jeunesse, l’art, la nuit.

La bande annonce de Petit Tailleur

On prend tout par un autre bout avec Entre nos mains, documentaire réalisé par Mariana Otero dans une usine au bord de la faillite, et que ses employé(e)s entreprennent de transformer en coopérative. Dans le centre de la France, avec des dames pas jeunes chez qui on sent la proximité de la campagne, dont certaines sont femmes d’agriculteurs, d’autres dont les parents, sinon elles-mêmes, sont nés en Afrique ou en Asie, des gens de toutes générations, des hommes aussi, cadres commerciaux et hommes de ménage aussi bien. De cette expérience, Mariana Otero fait… un film de cinéma. Une aventure, un récit dramatique, l’invention d’un espace et d’un temps où interfèrent des personnes qui deviennent aussi des personnages.

ENTRE NOS MAINS

On ne racontera ici ni comment se conclura la situation dramatique, ni avec quels moyens de cinéma la réalisatrice construira une réponse à cette évolution. On se contentera de mentionner combien fait sens le rapprochement que faisait Mariana Otero en présentant son film le jour de la sortie : l’aventure de la construction d’une autre manière de travailler (la SCOP) et l’espoir de sauver leurs emplois, et l’aventure de la réalisation du film lui-même, construit jour après jour dans les aléas du développement d’une situation incertaine et périlleuse, au milieu de gens a priori pas à l’aise avec la présence d’une caméra, et préoccupés de bien autre chose que de faire un film, quand leur boîte s’apprête à fermer. Leur histoire d’ouvrières et son histoire de réalisatrice trouveront très évidemment leur rythme et leur force en s’accordant, et c’est pour beaucoup ce qui fait le caractère vivant, rigolo et dramatique d’Entre nos mains.

La bande annonce de Entre nos mains

Il y a bien davantage qu’une coïncidence dans le fait que Louis Garrel ait choisi de faire de son personnage un ouvrier tailleur et que Mariana Otero ait choisi, parmi plusieurs possibilités (elle cherchait à filmer la création d’une SCOP), une usine de confection. La couture, point commun des deux films, n’a rien d’une anecdote. Ici comme là, c’est la matérialisation par des gestes d’un rapport au monde qui revendique une idée du cinéma. Un cinéma de confection, si on veut, mais au sens où le « faire » est essentiel, où il s’agit, dans un matériau léger et fluide, de donner forme et d’assembler ces formes. Une idée de la technique au service d’une élégance sans tape-à-l’œil, on n’est pas chez les grands couturiers, mais une pratique qui répond à la fois de l’utilitaire et du choix de goût avec des outils simples. Bon, je sais, c’est un gros mot mais tant pis : une morale.

2 réflexions au sujet de « Cinéma couture »

  1. Merci de nous signaler ces « petits » films perdus dans la masse des grosses machines. Et très amusant cette description de Louis Garrel. Ne feriez-vous pas tout de même partie des gens énervés par son talent et sa beauté justement? Ne le prenez pas comme un reproche. Je le trouve aussi trop parfait et c’est très agaçant.

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