On ne badine pas avec le temps

Camille redouble de Noémie Lvovsky

Jean-Pierre Léaud et Noémie Lvovsky dans Camille redouble

Camille est dans la quarantaine bien avancée, elle galère à essayer d’être actrice, son mec rompt brutalement, elle se saoule à mort au réveillon où elle retrouve ses copines de lycée. Et se réveille là, dans ses années lycée, les années 80, entre les mêmes copines, ses parents et son amoureux qui la larguera 30 ans plus tard.

Un moment, on se dit que c’est un remake, d’un très beau film pas assez reconnu, Peggy Sue Got married de Francis Coppola. Et puis on s’aperçoit que pas du tout, que c’est même à bien des égards le contraire. La référence au cinéma ne disparaît pas, au contraire, elle s’amplifie.

Hommage au cinéma

Camille redouble est un film sur le cinéma. Mais pas du tout un de ces films sur le microcosme ou le derrière des rideaux, un film sur comment le cinéma participe de l’intelligence sensible de la vie —ou du moins est capable de le faire. Et souvent ne le fait pas: par exemple cette machination médiocre qu’est le tournage du film gore auquel Camille, dans la séquence d’ouverture, prête ses gémissements mal payés.

Non, quelque chose d’autre, dont le très affable et légèrement inquiétant horloger Jean-Pierre Léaud — qui d’autre? — serait à la fois le gardien et le passeur. Camille redouble est une aventure du temps, et des traces gardées, transmises. Et de comment, en nous transformant, cela nous permet d’être soi, chacun.

Redoubler de sens

Noémie Lvovsky redouble. Elle redouble son geste de cinéaste, inventrice et conteuse de cette légende légère, en étant aussi l’interprète de Camille. Et elle redouble ce choix en étant à la fois la Camille d’aujourd’hui avec ses 45 balais bien comptés et celle des années 80, adolescente de 16 ans. Alors c’est une comédie aussi, bien sûr, jouée avec un allant et un charme à tomber.

Mais c’est encore autre chose, qui n’est pas dit mais bien entendu, sur l’aventure très singulière de cette cinéaste à bon droit très remarquée dès le début des années 90 (Oublie-moi, Petites, La vie ne me fait pas peur) devenue au cours de la décennie suivante une actrice remarquable, mais qui débute dans un de ses propres films.

Et surtout, en revendiquant de jouer à son âge d’aujourd’hui le rôle de l’adolescente, Camille Lvovsky redouble le sens de son film, non seulement du côté très désiré et très joyeux des effets de gag, mais du côté d’une intelligence de ce qu’est un acteur: des véritables points de vérité de l’artifice d’une fiction, et de l’étonnante puissance d’émotion qu’il y a à en prendre acte plutôt que de chercher à le défigurer dans les trucages et les dissimulations.

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2 réflexions au sujet de « On ne badine pas avec le temps »

  1. Jean-Michel, bonjour, hum, comment dire… J’ai vu « Camille redouble », c’est plaisant, sympathique, et certaines scènes (les cameos de Riad Sattouf en rea de serie Z, de Jean-Pierre Leaud en Geotrouvetou Sioux, de Mathieu Amalric en prof de philo libidineux) sont cocasses. Gros capital sympathie. Et plaisir du vintage que de retrouver les madeleines proustiennes, a savoir le revival autour des annees 80 (posters de Bowie, Madonna, hits du Top 50, montre Casio Or, K7, baladeur couleur…). Mais bon, a part ça, j’ai trouve que le film sur la question du temps ne décollait jamais vraiment. Love dans le confort de la nostalgie, « Camille redouble » n’a qu’une dimension (le retour dans le temps et son corollaire, les décalages et quiproquos). Il n’amorce que tres peu, selon moi, d’autres dimensions, tel que le temps retrouve, les strates de temps qui en s’accumulant créent le trouble. Est-ce du a une construction pépère ? A une réalisatrice qui n’est pas arme pour réaliser un millefeuille filmique ? N’est pas Coppola qui veut, certes. Ou Leone. Ou Raoul Ruiz. Bref, « Camille redouble » mérite le succès, il est drole, a mon avis il va le trouver, mais je trouve dommage qu’il n’exploite tout compte fait qu’un genre : la comédie d’acteurs. Derniere chose, je ne suis pas procédurier concernant le copyright, les idees circulantes et les inspirations marquées, mais tout de meme « Camille redouble », s’il n’est pas a sa facon un remake francais de « Peggy Sue s’est mariee », qu’est-il alors ? Si Coppola voit le film, ou les producteurs de son « Peggy », les accusations de plagiat ne seraient franchement pas absurdes, en tout cas loin d’etre surrealistes ! On en fait pour moins que ça, cf. Les histoires autour de « Seraphine » et « Starbucks ». Cdlt, VV

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    1. Bon ben pas du tout d’accord (on a l’habitude). Pour moi, le film n’est absolument pas nostalgique, ne pas l’être est même au principe de son énergie, et de son intérêt (et c’est ce que j’ai essayé de dire dans la critique). N.Lvovsky fait autre chose que Coppola, Leone ou Ruiz, ce qu’elle fait m’intéresse et me touche. Il n’y a pas grand sens à mes yeux à la placer en rivalité avec les autres. Et non, je ne crois pas du tout que ce soit une « comédie d’acteurs », au contraire le film se méfie de la performance, joue davantage sur ce qui se passe « entre », ou « hors » que sur l’affichage. Quant à la question des plagiats, c’est un truc sans fin, et sans grand intérêt cinématographique. La proximité avec le mécanisme dramatique est évidente, pour le reste, ce sont deux films différents qui ne racontent pas la même chose, et ne le racontent pas de la même façon.

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