Grâce aux infinies nuances du jeu d’Isabelle Huppert, le nouveau film de Benoit Jacquot explore les zones d’ombre de la fiction en jouant avec les figures types du film noir.
Une séduction tarifée, un crime, un vol, une imposture. Eva démarre à toute vitesse, sur une route qui semble balisée. Roman noir (de James Hadley Chase) qui s’incurve dans une plongée mentale sur la dépendance affective, c’était aussi la trajectoire suivie par la première adaptation du livre, le Eva de Joseph Losey en 1962, avec Jeanne Moreau.
Le livre, le genre cinématographique, le film précédent sont quelques-uns des miroirs biseautés qui jalonnent ce film étrange et pénétrant, songe de cinéaste –et de spectateur prêt à cette aventure qu’on appelle la mise en scène.
Avec son vingt-cinquième long métrage, Benoît Jacquot revendique la fiction comme fiction. On allait écrire «Jacquot s’amuse à revendiquer la fiction comme fiction», tant la part ludique du projet est évidente.
Ludique certes, mais sérieuse aussi. Sérieuse à la mesure des histoires qu’on nous, qu’on se raconte –et surtout de la manière dont elles sont racontées.
Sinueux et glissant comme la route de montagne enneigée qui y paraît à plusieurs reprises, le film circule entre les repères trop évidents, les typages de personnages et de situations, pour sans cesse en déplacer les certitudes, tester leur sens, interroger leur solidité et leur légitimité.
Jeu sérieux, jeu dangereux
La beauté du geste tient à ce que l’un des principaux repères ainsi remis en cause est précisément l’imposture, la rhétorique du masque, du double jeu, ressort bien connu des films à énigme comme de la psychologie basique.
Côté cinéma, le modèle serait à chercher du côté des Diaboliques de Clouzot, clairement évoqué par Jacquot, lequel fait pourtant tout autre chose –avec Eva, nul besoin d’interdire aux spectateurs de raconter quoique ce soit, tout se passe ailleurs, c’est-à-dire tout le temps, et non plus au moment du rusé rebondissement crucial et fatal.
Entre Bertrand et Eva, les jeux ne sont pas faits (©Europacorp Distribution).
Ce qui est «fatal» dans le film, au sens du destin et pas nécessairement de la mort, c’est la complexité des humains, quand bien même ils apparaissent sous les auspices d’archétypes d’un genre. (…)