Graphique et intense, le film de Samuel Maoz raconte en trois temps la crise d’une société qui a trahi ses valeurs.
Ça penche. Et même, ça penche du mauvais côté. Le container qui sert de gourbi aux quatre jeunes troufions de Tsahal affectés à un checkpoint au milieu de nulle part s’enfonce doucement dans un marigot. Un marigot dont il est clair qu’il n’est pas seulement fait de terre et d’eau.
Il y a 57 ans, Chris Marker consacrait à Israël un film-enquête intitulé Description d’un combat. Le «combat» en question consistait pour le pays juif à rester du côté de la morale tout en se construisant comme nation dans un environnement hostile. Ce combat, il y a longtemps, très longtemps qu’Israël l’a perdu. Qu’il ne cesse de le perdre toujours davantage.
C’est ce que raconte le cinéaste israélien Samuel Maoz, au moment même où son pays s’apprête à célébrer ses 70 ans d’existence, qui sont aussi les 70 ans de la Nakba, la «catastrophe», pour les Palestiniens.
Samuel Maoz possède un talent rare pour transformer descriptions et interprétations des faits en formes cinématographiques, en récits, en images, en mouvement. Il en avait donné un exemple très puissant avec son premier film, Lebanon, qui faisait de l’odyssée d’un char israélien en territoire libanais lors de l’invasion du pays en 1982 la matérialisation des enfermements mentaux, des brutalités et des peurs qui gouvernent la grande majorité de ses compatriotes. Avec Foxtrot, il réussit une opération de même nature, mais encore plus complexe et ambitieuse.
Une société travaillée de l’intérieur par la trahison de ses valeurs
Douleur et procédure, technique et suffocation, ennui et burlesque, mort et pas mort et puis mort, deuil mais de qui et de quoi finalement? Construit en trois parties aux tonalités très différentes, le film raconte au fond trois fois la même chose, le dérèglement profond d’une société travaillée de l’intérieur par la trahison de ses valeurs.
Un monde graphique. | ©Sophie Dulac distribution
Dans le grand appartement design des parents de Yonathan à Tel-Aviv, décor glacial témoignant d’une volonté de maîtrise de l’espace et du quotidien, comme dans le no man’s land onirique où le soldat Yonathan surveille inutilement une barrière qui humilie et tue, la tension ne cesse de monter, quitte à exploser –ici en larmes, là en crise de rire absurde.
Affichant l’artifice de sa mise en scène, qui fait écho au métier du père, architecte, comme à la passion du fils, le dessin, Maoz passe par des choix visuels très différents pour rendre sensible combien le côté ultramoderne, réglementé, efficace et discipliné, de l’organisation sociale et militaire et la folie angoissée et violente des actes sont les deux faces de la même médaille.
Mais ce film qui porte le nom d’une danse ne s’en tient pas à une place ni à une structure, fut-elle schizophrène. Il met en mouvement un grand nombre de thèmes et, comme dans une succession de pas glissés, ne cesse de déplacer le centre de gravité, et d’alterner les emballements et les mises en suspens. (…)