« Une pluie sans fin » et « Bajirao Mastani », folie chinoise,fresque indienne

Polar minimaliste ou fresque sentimentale et historique, les films de Dong Yue et de Sanjay Leela Bhansali, au-delà de leurs immenses différences, témoignent de la vitalité des cinémas d’Asie, et de la diversité des façons d’être auteur au cinéma.

Photo: L’anti-héros Yu (Duan Yihong) et le héros Bajirao (Ranveer Singh).

Il n’est pas vraiment une bonne nouvelle que cette semaine soit si puissamment dominée par les cinémas d’Asie.

Il s’agit en effet de la période la moins porteuse de l’année, et entre voie de garage et enterrement sans fleurs ni couronnes, on hésite sur la métaphore pour caractériser le destin promis à ces films. Leurs distributeurs ne sont pas en cause, il faut se réjouir qu’ils soient là pour sortir ces films; c’est l’ensemble du marché, saturé de produits médiocres et répétitifs, qui est incapable de faire juste place à des œuvres «différentes».

Toujours est-il que ce mercredi 25 juillet, en même temps que l’exceptionnel film philippin La Saison du diable de Lav Diaz, sortent sur nos écrans deux réalisations venues des deux plus grandes puissances asiatiques (aussi pour le cinéma), la Chine et l’Inde.

Deux films par ailleurs aussi différents que possible: un polar stylisé, minimaliste et sombre, Une pluie sans fin, premier long-métrage de Dong Yue, et un flamboyant représentant de Bollywood, Bajirao Mastani, d’un des réalisateurs les plus en vue des studios de Mumbai, Sanjay Leela Bhansali. Deux films qui, outre le fait qu’ils proviennent du même continent, n’ont guère qu’une chose en commun: offrir de très beaux moments de cinéma.

Une pluie sans fin, un conte des deux folies

Ce serait un cauchemar à l’intérieur d’un cauchemar. Cauchemardesque, le paysage de cette région industrielle dont les immenses usines sont en train de fermer, la nature ravagée par la pollution, l’ambiance oppressante où se combinent météo sinistre (le titre est très clair sur ce point) et contrôle bureaucratique et policier, aussi endémique et s’infiltrant partout que la pluie incessante.

Cela pourrait être un des cercles de l’enfer de Dante, ou une planète de science-fiction dystopique. C’est la Chine à la fin des années 1990, en train de procéder à la «grande accélération» qui va laisser exsangues des dizaines de millions de gens, des régions entières qui avaient été pilotes dans les phases précédentes du développement économique et politique.

Paysages dévastés et humains réduits au désespoir.

Et dans cet univers infernal, voilà que se multiplient les meurtres de jeunes filles, des ouvrières retrouvées dans les terrains vagues. L’inspecteur Lao enquête, c’est un professionnel sérieux, qui sait procéder avec méthode et faire la part des choses. Mais Yu, responsable de la sécurité dans une des usines où un meurtre a eu lieu, s’en mêle.

Au début, il veut aider, avec tant de zèle qu’on finit par le rembarrer. Et puis, il est sincèrement bouleversé par l’atrocité des crimes. Et lui ne sait pas faire la part des choses. Dès lors, une étrange spirale s’enclenche, qui entraîne également cette jeune fille rencontrée là où les solitaires se retrouvent, pas seulement pour danser.

Une pluie sans fin raconte du même mouvement deux folies. Il raconte la folie d’un pays où les règles du jeu viennent de changer en plongeant dans le désespoir, matériel, moral, d’immenses pans de sa population, ceux-là mêmes, les ouvriers, que plusieurs décennies précédentes ont valorisés comme les héros du présent et du futur.

Le décorum et les appareils de pouvoir de l’ère précédente sont toujours là, mais les règles ont changé.

Et il raconte la folie d’un homme qui s’abîme dans un vertige obsessionnel. On songe à Kafka, évidemment –ou plutôt au sens qu’a pris le mot «kafkaïen». On songe également à un autre film chinois, lui aussi fondé sur une quête obstinée, obsessionnelle, Qiu Ju une femme chinoise de Zhang Yimou.

À l’époque, juste avant celle à laquelle se passe Une pluie sans fin, la volonté inlassable de la paysanne d’obtenir justice apparaissait comme la manifestation d’un sens de la dignité poussé à l’extrême, une forme exacerbée de revendication de l’individu dans la société collectiviste. Dans le film de Dong Yue, tous les signes sont inversés.

Ces signes, visuels, sonores, chromatiques, le réalisateur qui ici débute après avoir fait ses armes comme chef opérateur les assemble avec un art consommé de la mise en scène.

Empruntant beaucoup au thriller, et un peu au film d’horreur, il réussit insidieusement à faire jouer les ressorts du film de genre pour créer une atmosphère à la fois captivante pour ce qui concerne le destin de ses personnages de fiction, et riche de sens pour ce qui concerne une situation réelle aux dimensions de catastrophe majeure.

Bajirao Mastani, légende et pamphlet

Vous l’ignorez sans doute (c’était aussi mon cas) mais ces deux mots sont des noms, ceux de personnages historiques qui forment aussi un couple à certains égards comparable à Tristan et Yseult ou Roméo et Juliette.

Peut-être ignorez-vous aussi que l’auteur de ce film, triomphe du box-office et des récompenses nationales du cinéma dans son pays après sa sortie en 2015, est l’un des réalisateurs les plus cotés au sein de l’industrie du spectacle hindie que nous appelons Bollywood. (…)

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